Jean-Louis Cohen, architecte et « Parisien errant »

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Celui qui n’avait pas oublié son enfance à la Butte-aux-Cailles est décé­dé le 7 août 2023. La rédac­tion d’Urba­nisme avait inter­viewé Jean-Louis Cohen, au prin­temps 2013, à l’occasion de l’exposition à Stras­bourg « Inter­fé­rences. Archi­tec­ture, France-Alle­magne, 1800–2000 » qu’il avait conçue avec Hart­mut Frank, avant une seconde sur le pay­sage dans l’œuvre de Le Cor­bu­sier, en juin de cette même année, au MoMA de New York. Il s’é­tait fait connaître par des expo­si­tions, telle la fameuse « Paris-Mos­cou » de 1979 au Centre Georges Pom­pi­dou, puis par de solides ouvrages sur des villes sai­sies à des moments révé­la­teurs de leur histoire. 

 

Où êtes-vous né ? 

Jean-Louis Cohen/ Je suis né à Paris en 1949. Mes parents habi­taient une HBMA, habi­ta­tion à bon mar­ché amé­lio­rée de l’Office d’HBM de la Ville de Paris, attri­buée en 1939 à ma mère, alors assis­tante à la Sor­bonne. Mon père est venu l’y rejoindre lorsqu’ils se sont mariés, en 1948. Je suis donc un enfant de la Butte-aux-Cailles. J’ai gran­di dans le 13e arron­dis­se­ment, avec une assez forte conscience de ce qu’était un Paris encore popu­laire et ver­na­cu­laire, dans lequel j’ai vu appa­raître à la fin des années 1960 la réno­va­tion urbaine du quar­tier Ita­lie, en conti­nuant d’ailleurs à habi­ter d’autres coins du même arron­dis­se­ment. Je suis pas­sé de ces HBM de la rue Bar­rault à celles du bou­le­vard Mas­sé­na, porte d’Italie, où j’ai occu­pé une chambre de bonne, puis à un immeuble en pan de bois et plâtre de la rue du Mou­li­net, en plein péri­mètre de la réno­va­tion, avant que de tra­ver­ser la Seine pour m’établir pen­dant trente ans bou­le­vard de Sébas­to­pol. Ma tra­jec­toire rési­den­tielle fut donc extrê­me­ment pari­sienne, dans le même temps que je décou­vrais le monde. Je me consi­dère plus comme un Pari­sien errant que comme un Fran­çais inter­na­tio­na­li­sé. 

Je suis né dans un milieu où les deux piliers de la religion
fami­liale étaient la science et la révolution 

Pou­vez-vous nous par­ler de votre famille ? 

J.-L. C./ Je suis né dans un milieu où les deux piliers de la reli­gion fami­liale étaient la science et la révo­lu­tion. Ma mère était chi­miste de for­ma­tion. Après la guerre et son retour d’Auschwitz, elle a été dans l’équipe de Fré­dé­ric Joliot-Curie au Com­mis­sa­riat à l’énergie ato­mique, avant d’en être chas­sée par Raoul Dau­try, ex-ministre de la Recons­truc­tion et de l’Urbanisme, lors du bref épi­sode – aujourd’hui oublié – du mac­car­thysme à la fran­çaise. Elle a ensuite ensei­gné à la fac d’Orsay. Quant à mon père, bio­lo­giste de for­ma­tion, et qui avait étu­dié le russe à Langues‑O, après quatre ans de Résis­tance, il s’était retrou­vé cor­res­pon­dant de L’Humanité à Mos­cou, où il res­te­ra de 1946 à 1949. J’ai donc gran­di dans ce culte de la science et de l’engagement poli­tique, avec le sen­ti­ment très fort d’être moins dans une mino­ri­té per­sé­cu­tée que dans une mino­ri­té oppo­si­tion­nelle. Ma famille ne s’intéressait guère à l’architecture ou à l’urbanisme mais plu­tôt à la lit­té­ra­ture et à la musique. Mon grand-père, qui était lin­guiste et gram­mai­rien, pos­sé­dait dans son abon­dante biblio­thèque un seul livre rele­vant de ce domaine : l’édition de 1924 de Vers une archi­tec­ture de Le Cor­bu­sier. 

Quelle a été votre for­ma­tion poli­tique ? 

J.-L. C./ J’ai gran­di dans un milieu com­mu­niste, dans lequel mon père avait une place assez spé­ciale. Il avait eu des atti­tudes rigi­de­ment sta­li­niennes lors de l’affaire Lys­sen­ko, au début des années 1950 ; il a ensuite été l’un de ceux qui ont essayé de modé­rer les délires sec­taires du PCF. En 1966, il a pris la direc­tion de La Nou­velle Cri­tique, une revue liqui­dée par Georges Mar­chais en 1978 et qui fut un lieu unique d’interaction entre un dis­cours com­mu­niste atten­tif aux trans­for­ma­tions de la socié­té et des groupes comme ceux qui publiaient les revues Tel Quel ou Change, ou Les Cahiers du Ciné­ma. La revue a pris des risques, comme celui d’ouvrir ses pages à Louis Althus­ser à pro­pos de la psy­cha­na­lyse, et s’est mon­trée assez éclai­rée dans l’obscurité de la culture com­mu­niste de l’époque. En tant qu’architecte novice, j’ai par­ti­ci­pé à sa rédac­tion dans les années 1970. Mes parents pas­saient leurs vacances en Ardèche, où le jeune Paul Che­me­tov avait ses quar­tiers d’été. Il par­lait beau­coup avec mon père du des­tin de La Nou­velle Cri­tique, et il fut la pre­mière figure d’architecte que j’ai connue. Ma voca­tion est sans doute née dans ces condi­tions-là, dans les années 1960. 

Je jouais au rug­by, j’allais à la Cinémathèque,
et je mani­fes­tais contre la guerre amé­ri­caine au Vietnam

Vous êtes entré à l’École spé­ciale d’architecture. Pour­quoi ? 

J.-L. C./ L’École des beaux-arts me fai­sait peur, à cause de l’image chao­tique qui était la sienne. J’avais fait Maths Sup, et l’École spé­ciale m’apparaissait comme un milieu plus sérieux. C’était com­plè­te­ment faux mais, au moins pen­dant une année, j’y ai vrai­ment bien appris à des­si­ner l’architecture clas­sique. Le reste du temps, je jouais au rug­by, j’allais à la Ciné­ma­thèque, et je mani­fes­tais contre la guerre amé­ri­caine au Viet­nam. En 1968, l’École spé­ciale est deve­nue, après avoir été prise en main par les étu­diants, un lieu très inven­tif. Ils ont deman­dé à Marc Eme­ry, alors direc­teur de la revue L’Architecture d’aujourd’hui, d’en prendre la direc­tion. Eme­ry a fait venir des gens remar­quables, comme Ana­tole Kopp, Pierre Sad­dy, Paul Viri­lio. Il a orga­ni­sé des ren­contres fré­quentes, avec des vision­naires comme Yona Fried­man, des archi­tectes extra­or­di­naires comme Louis Kahn, et des socio­logues comme Hen­ri Lefebvre ou Jean Duvi­gnaud. C’était deve­nu un endroit assez intense jusqu’à ce que la pâte retombe un peu, et que fina­le­ment l’effervescence créa­tive d’UP6 me sem­blât plus ten­tante – et moins coû­teuse. 

J’ai aus­si eu deux expé­riences fon­da­trices, qui ne se reflètent pas direc­te­ment dans ce qui m’occupe aujourd’hui, mais qui res­tent pri­mor­diales. La pre­mière fut de tra­vailler pen­dant tous les étés de cette période sur les chan­tiers de l’entreprise GEEP Indus­tries, dont le patron était le père de mon ami Fran­çois Chas­lin. Paul Chas­lin construi­sait des col­lèges pré­fa­bri­qués, il a aus­si bâti la fac de Vin­cennes. J’allais avec Fran­çois sur les chan­tiers, notam­ment à Mar­seille, et j’ai décou­vert sur le tas, comme conduc­teur de tra­vaux, les règles de la construc­tion. 

On pou­vait aller écou­ter les sémi­naires de Fou­cault, Lefebvre
ou Lacan, tout le monde était accessible 

La seconde expé­rience fut de suivre les cours de Jean Prou­vé au Conser­va­toire des arts et métiers, pro­ba­ble­ment l’enseignement le plus enthou­sias­mant que l’on pou­vait trou­ver dans un rayon de 2 000 km. Prou­vé don­nait des cours de trois heures pen­dant les­quels il construi­sait sur le tableau, une craie à la main, des voi­tures, des avions et des mai­sons. Après avoir des­si­né à gauche du tableau une pile de tôles, on voyait trois heures plus tard à l’autre bout un objet assem­blé. C’était par­fai­te­ment mobi­li­sa­teur et exci­tant. On pou­vait aus­si aller écou­ter les sémi­naires de Fou­cault, Lefebvre ou Lacan, tout le monde était acces­sible. Paris était alors un milieu sti­mu­lant et intense, et il l’est res­té sans doute jusqu’à la fin des années 1970. 

Par ailleurs, comme j’avais appris l’allemand et le russe et m’étais débrouillé pour acqué­rir un ita­lien et un anglais à peu près pas­sables, j’ai com­men­cé à me pro­me­ner en Europe, avec Fran­çois Chas­lin et d’autres. Nous avons fait des voyages en Alle­magne et en Europe cen­trale. Je suis aus­si allé à Londres, où l’Architectural Asso­cia­tion était un des endroits les plus ima­gi­na­tifs du moment, et où l’architecture de James Stir­ling me pas­sion­nait. À par­tir du début des années 1970, après avoir décou­vert grâce à Ana­tole Kopp la fas­ci­nante avant-garde russe, je me ren­dis sou­vent à Mos­cou, où je m’étais juré d’aller ren­con­trer tous les sur­vi­vants de la période héroïque. 

Com­ment deve­nez-vous un his­to­rien ? 

J.-L. C./ J’ai eu très tôt un inté­rêt pour l’histoire, e t l’ai pra­ti­quée assez vite. Le diplôme que j’ai sou­te­nu en 1973 était déjà un tra­vail his­to­rique sur les rap­ports entre archi­tec­ture et poli­tique. Son titre – très daté – était : « Y a-t-il une pra­tique archi­tec­tu­rale de la classe ouvrière ? » Je lisais énor­mé­ment, mais il y avait peu à lire dans ce domaine dans la France de l’époque – et peu de tra­duc­tions d’ouvrages étran­gers –, ce qui me don­nait un cer­tain sen­ti­ment de claus­tro­pho­bie. L’un des livres qui ont alors comp­té pour moi fut L’Urbanisme, uto­pies et réa­li­tés de Fran­çoise Choay, qui m’a conduit à lire tout ce que je pou­vais trou­ver en ver­sion ori­gi­nale – en Alle­magne, en Angle­terre, etc. – et à me dire que la vraie vie était peut-être ailleurs. 

Après avoir obte­nu mon diplôme, j’ai com­men­cé à tra­vailler à l’Institut de l’Environnement, un orga­nisme aujourd’hui oublié, en dépit de son impor­tance. Créé par le minis­tère de Mal­raux après 1968 pour for­mer ensei­gnants et cher­cheurs dans le champ très vaste de l’architecture et de la culture visuelle, incluant le desi­gn et les arts gra­phiques, l’institut a recru­té une pre­mière pro­mo­tion, avant d’en inter­rompre la for­ma­tion car tous les élèves étaient sub­ver­sifs, et le minis­tère a pris peur. Il est alors deve­nu une sorte d’unité de ser­vice à la recherche, mais aus­si un lieu où étaient orga­ni­sés énor­mé­ment de sémi­naires, ce qui a géné­ré des publi­ca­tions, des tra­duc­tions. Sa petite cel­lule sur les ques­tions de théo­rie de l’histoire de l’architecture était ani­mée par Jean-Paul Les­ter­lin, en charge du CORDA – ou Comi­té pour la recherche et le déve­lop­pe­ment en archi­tec­ture –, à peine créé au minis­tère, et par Bru­no For­tier. Je fus char­gé pour ma part de mener la veille sur la recherche archi­tec­tu­rale en Rus­sie. Très vite j’ai conclu qu’il n’y avait rien de bien exci­tant à en attendre, et que tout l’intérêt rési­dait dans l’histoire des années 1920 et 1930, que je com­men­çais à étu­dier. 

Le Havre (2006) ©Jean-Louis Cohen

Il se pas­sait en revanche des choses for­mi­dables en Ita­lie et en Alle­magne. À par­tir de 1972, j’ai pas­sé énor­mé­ment de temps en Ita­lie. Il me sem­blait que les dis­cours his­to­riques les plus inté­res­sants venaient de là, et ils por­taient aus­si sur l’urbanité et sur la ville. Je pense notam­ment à cet évé­ne­ment très impor­tant qu’a été la Trien­nale de Milan de 1973, orga­ni­sée par Aldo Ros­si. Il y avait d’un côté Aldo Ros­si et les théo­ri­ciens de l’« archi­tec­ture urbaine », très au fait des dis­cours fran­çais, et qui m’ont inci­té à lire Gas­ton Bar­det, Georges Cha­bot, Maxi­mi­lien Sorre ou Pierre George, et de l’autre côté Man­fre­do Tafu­ri, l’un des pre­miers dans le monde de l’architecture à lire Theo­dor Ador­no et Wal­ter Ben­ja­min et à ten­ter d’en inter­pré­ter le pro­pos. L’Italie fut aus­si une décou­verte poli­tique. Je me sen­tais plus proche des pro­blé­ma­tiques démo­cra­tiques et réa­listes du Par­ti com­mu­niste ita­lien que de celles du PCF, même dans son éphé­mère phase dite « euro­com­mu­niste ». 

C’est dans ce cadre que j’ai orga­ni­sé à Gre­noble, avec Fran­çois Ascher, le col­loque de 1974 « Pour un urba­nisme… ». Les points de sus­pen­sion mani­fes­taient notre refus de pro­po­ser un urba­nisme « démo­cra­tique » ou « socia­liste ». Car, au fond, la thèse était que, dans le sys­tème dit du capi­ta­lisme mono­po­liste d’État, théo­rie offi­cielle du PCF d’alors, il n’y avait pas de place pour un véri­table urba­nisme, sauf dans quelques îlots heu­reux de la contre-socié­té com­mu­niste. Ce col­loque fut le cadre d’une conver­sa­tion intense et ouverte entre élus, mili­tants, cher­cheurs en sciences sociales, archi­tectes et urba­nistes. Cette réflexion com­mune conduite au nom de la connais­sance, de la créa­ti­vi­té pro­jec­tuelle, ou de la vision poli­tique, avait quelque chose d’utopique. 

À par­tir de ce moment, j’ai com­men­cé à aller inten­sé­ment en Rus­sie et en Alle­magne, à écrire sur ces pays et un peu sur la France, sur l’Italie aus­si. Un des pre­miers livres que j’ai publiés était la ver­sion fran­çaise du cata­logue de la Bien­nale de Venise de 1976, sur l’architecture dans l’Italie fas­ciste. Puis j’ai été enga­gé dans des pro­jets lourds du Centre Georges Pom­pi­dou, comme l’exposition « Paris-Mos­cou » de 1979. 

Et l’enseignement ? 

J.-L. C./ J’ai com­men­cé en 1976 à don­ner des cours à l’École d’architecture de Nantes, lar­ge­ment ins­pi­ré des posi­tions de Ros­si ou du post­mo­derne luxem­bour­geois Rob Krier. J’ai lu avec les étu­diants les réflexions clas­siques sur la forme urbaine au XIXe et au XXe siècles, et ensei­gné la com­po­si­tion urbaine. Ensuite, j’ai eu un poste à l’Unité péda­go­gique n° 1 de Paris, puis je me suis  occu­pé entre 1979 et 1983 du Secré­ta­riat de la recherche archi­tec­tu­rale, qui rem­pla­çait le CORDA, pas­sé au minis­tère de l’Équipement. J’y ai essen­tiel­le­ment conso­li­dé la pré­sence des thé­ma­tiques urbaines en amor­çant la réflexion sur des sujets qui n’étaient abso­lu­ment pas abor­dés à l’époque, notam­ment la ban­lieue. J’ai pous­sé ce tra­vail en disant qu’on savait très bien réflé­chir sur les villes anciennes et peut-être sur les ter­rains vierges mais que l’on ne savait pas pen­ser la ban­lieue. 

Mos­cou (2011) ©Jean-Louis Cohen

J’ai déployé une grande éner­gie pour implan­ter la recherche dans les écoles d’architecture, a lors que, jusque-là, une grande par­tie des tra­vaux était menée par des bureaux d’étude, des archi­tectes libé­raux ou des asso­cia­tions loi de 1901 fra­giles. Je crois, sans être vain, avoir joué un rôle dans l’institutionnalisation de la recherche archi­tec­tu­rale, par la créa­tion des labo­ra­toires dans les écoles. Peut-être avais-je au fond un idéal incons­cient de la recherche scien­ti­fique, issu de mes expé­riences enfan­tines… 

Dans ce cadre, j’ai com­men­cé à me battre pour la créa­tion de doc­to­rats d’architecture en France, après avoir décou­vert en 1981 les ver­tus du sys­tème amé­ri­cain. Je consi­dé­rais – et c’est tou­jours mon point de vue – qu’il était impor­tant que le monde de l’architecture pro­duise ses propres experts en les légi­ti­mant par le biais des doc­to­rats. Cette ques­tion n’intéressait alors per­sonne à la direc­tion de l ’Archi­tec­ture. Le pre­mier résul­tat de cette agi­ta­tion, que je n’étais pas le seul à fomen­ter, fut la créa­tion des pre­mières for­ma­tions spé­cia­li­sées post-diplôme, les cer­ti­fi­cats d’études avan­cées en archi­tec­ture. J’ai moi-même pas­sé mon doc­to­rat en 1985 avec Hubert Damisch. À tra­vers lui, j’avais décou­vert une his­toire de l’art cri­tique ancrée dans le struc­tu­ra­lisme et la psy­cha­na­lyse. Ma thèse, en véri­té assez tra­di­tion­nelle, por­tait sur l’activité d’André Lur­çat, moderne fran­çais à la tra­jec­toire ori­gi­nale. 

Au début des années 1990, les écoles d’architecture ont pu enfin créer des for­ma­tions habi­li­tées, à condi­tion d’être asso­ciées à une uni­ver­si­té. C’est ain­si que nous avons fusion­né trois cer­ti­fi­cats d’études appro­fon­dies en archi­tec­ture pour créer un pro­gramme de doc­to­rat en asso­cia­tion avec l’Institut fran­çais d’urbanisme, qui don­nait l’accès au doc­to­rat. Dans le même temps, nous appor­tions à l’IFU, alors diri­gé par Pierre Mer­lin, les gros bataillons de notre public. 

En France, nous avons des for­ma­tions d’urban plan­ning mais pas d’urban design

Tout en étant char­gé de mis­sion scien­ti­fique de la recherche archi­tec­tu­rale, j’avais conti­nué à ensei­gner en France, et com­men­cé au début des années 1980 à don­ner des cours aux États-Unis. Après Phi­la­del­phie, je fus cher­cheur invi­té au Centre de recherche avan­cée de la Gale­rie natio­nale à Washing­ton, puis j’ai ensei­gné à Har­vard, à Colum­bia, j’ai été cher­cheur au Get­ty de Los Angeles, avant d’avoir une chaire à mi-temps à l’Institute of Fine Arts de New York Uni­ver­si­ty en 1994. Paral­lè­le­ment, j’ai ensei­gné l’histoire de l’urbanisme à l’IFU de 1996 à 2005, avant de m’engager à plein temps à New York. 

Quelles leçons tirez-vous de votre expé­rience amé­ri­caine ? 

J.-L. C./ La proxi­mi­té avec le sys­tème amé­ri­cain m’a appris beau­coup de choses sur les méthodes et les struc­tures de l’enseignement, sur le fonc­tion­ne­ment des ins­ti­tu­tions, sur les mala­dies du sys­tème fran­çais – et par­fois aus­si sur celles du sys­tème amé­ri­cain, sur lequel il convient de res­ter lucide. Si l’on consi­dère que l’urbanisme, c’est l’articulation de l’urban desi­gn et de l’urban plan­ning, nous avons bien en France des for­ma­tions d’urban plan­ning mais p as d’urban desi­gn. Elles com­mencent à appa­raître avec les DSA, diplômes spé­cia­li­sés en archi­tec­ture, dans des écoles comme celles de Marne-la-Val­lée ou de Bel­le­ville, mais sont encore jeunes. Cette carence est éton­nante, car lorsque l’on feuillette les vieux numé­ros d’Urba­nisme, on constate que des urba­nistes fran­çais des années 1920 aux années 1960, de Gas­ton Bar­det à Robert Auzelle, avaient une capa­ci­té à asso­cier réflexion socio-éco­no­mique et pen­sée spa­tiale. 

Les expo­si­tions sont le déploie­ment de la connaissance
dans l’espace

À ce pro­pos, je per­siste à pen­ser que les écoles d’architecture tota­le­ment indé­pen­dantes sont une absur­di­té, et qu’il s’agit d’une par­ti­cu­la­ri­té contes­table du sys­tème fran­çais. Pour moi, la seule voie d’avenir est leur affi­lia­tion aux uni­ver­si­tés. Per­sonne ne peut pré­tendre que les grandes écoles amé­ri­caines ou alle­mandes sont moins créa­tives parce qu’elles sont inté­grées dans des uni­ver­si­tés où la recherche est puissante. 

New York (2012) ©Jean-Louis Cohen

Saint-Louis (2011) ©Jean-Louis Cohen

 

À par­tir de « Paris-Mos­cou », vous enchaî­nez les expo­si­tions ? 

J.-L. C./ Au fond, pour­quoi les expo­si­tions me pas­sionnent-elles ? Parce qu’elles sont le déploie­ment de la connais­sance dans l’espace. Je les per­çois comme une sorte de thé­ra­pie où la frac­ture que je res­sens par­fois entre l’architecte et le cher­cheur peut être réduite. Pro­cé­der à une démons­tra­tion en déployant dans l’espace des­sins, livres, films, maquettes, c’est construire une pro­me­nade didac­tique et ludique qui crée des inter­ac­tions fécondes entre les formes et les dis­cours. Une autre dimen­sion que je trouve inté­res­sante est la dimen­sion publique. Les expo­si­tions per­mettent de s’adresser à d’autres qu’aux lec­teurs des livres spé­cia­li­sés et de por­ter à l’attention du grand public des ques­tions qu’il découvre sous un autre angle. 

Avant « Paris-Mos­cou », j’avais tra­vaillé avec Chris­tian Devil­lers sur l’exposition « De l’objet à la ville », pour la pré­fi­gu­ra­tion de Beau­bourg, où j’ai mon­té en 1987 avec Bru­no Rei­chlin l’exposition du cen­te­naire de Le Cor­bu­sier. Par­mi bien d’autres, je cite­rais la pre­mière expo­si­tion per­ma­nente du Pavillon de l’Arsenal, « Paris, la ville et ses pro­jets », conçue avec Bru­no For­tier. 

Si Fran­çois Bar­ré a pen­sé à moi quand il a relan­cé en 1977 le pro­jet du Centre natio­nal du patri­moine de Chaillot, ini­tié par Mary­vonne de Saint-Pulgent sous les gou­ver­ne­ments pré­cé­dents, c’est à la fois parce que j’avais conçu des expo­si­tions et parce que, depuis des années, je m’agitais pour que soit créée à Paris une véri­table biblio­thèque d’architecture, qui n’existait plus depuis que l’Institut de l’Environnement avait fer­mé et que l’École des beaux-arts avait limi­té l’accès à ses col­lec­tions. La biblio­thèque pari­sienne de réfé­rence sur l’architecture n’était plus acces­sible qu’au prix de grandes fatigues. J’en tirai les conclu­sions et me mis à faire mes recherches à Zurich, Londres ou à New York, même sur les maté­riaux fran­çais. 

Pou­vez-vous reve­nir sur la Cité de l’architecture ? 

J.-L. C./ Ma purge, inter­ve­nue en 2003, m’a lais­sé un goût amer pen­dant un cer­tain temps. Mais, disons-le fran­che­ment, ma nomi­na­tion par le minis­tère de Cathe­rine Traut­mann avait une dimen­sion poli­tique. Et mon exclu­sion en eut aus­si une. Jean-Jacques Ailla­gon, ayant un énarque du cabi­net de Raf­fa­rin à reca­ser, m’a déga­gé en me disant que mon rôle était ache­vé. Je peux dire rétros­pec­ti­ve­ment que, si je n’avais pas pas­sé cinq ans de ma vie à prendre des coups symé­triques venant du milieu des défen­seurs du patri­moine et du milieu de l’avant-garde archi­tec­tu­rale auto­pro­cla­mée, cha­cun consi­dé­rant que ce pro­jet était illé­gi­time pré­ci­sé­ment parce qu’il don­nait de la place aux autres, si je n’avais pas pas­sé cinq ans à dan­ser sur la corde raide, ce pro­jet ne se serait pas réa­li­sé. Il s’agissait en fait d’un pro­jet dou­teux quant à son ori­gine bud­gé­taire, car il n’avait jamais été approu­vé par Ber­cy. C’était une opé­ra­tion clan­des­tine, menée avec les cré­dits non dépen­sés des Monu­ments his­to­riques, thé­sau­ri­sés sur plu­sieurs années. Aucun gou­ver­ne­ment n’a jamais pris la déci­sion de faire un grand équi­pe­ment sur l’architecture à Paris, et l’entreprise a fini par être « bleuie » par Mati­gnon sur le tard, parce que le pro­jet avait avan­cé et qu’il était impos­sible de l’arrêter. 

Pen­dant ces années de pré­fi­gu­ra­tion, je me suis atta­ché à insuf­fler de l’énergie à la petite bou­tique qu’était l’Institut fran­çais d’architecture de la rue de Tour­non, grâce à des col­la­bo­ra­teurs for­mi­dables. Je pen­sais qu’il fal­lait créer un mou­ve­ment pour que le pro­jet abou­tisse à Chaillot. 

En quoi ce que j’imaginais dif­fère-t-il de ce qui a été réa­li­sé ? J’imaginais déve­lop­per bien davan­tage les syner­gies entre les dif­fé­rentes com­po­santes, musée, expo­si­tions et autres acti­vi­tés, ne pas les lais­ser vivre leur vie sépa­ré­ment. J’imaginais – ce qui ne s’est pas fait jusqu’à ce jour, mais qui sera sans doute un des axes de la nou­velle Cité, si je com­prends bien les inten­tions de son nou­veau pré­sident Guy Amsel­lem – lais­ser une grande place à la recherche et à la ques­tion de la ville. Je pen­sais que la Cité aurait pu être un lieu de débat citoyen, où l’on aurait pu se ren­sei­gner, cher­cher de l’information sur les poli­tiques urbaines, ou sur le droit de l’urbanisme. Et un lieu d’accueil et de débat pour les cher­cheurs, ce qui a été com­plè­te­ment écar­té depuis l’ouverture en 2007. 

Le pro­jet de Chaillot avait dans mon esprit une por­tée politique

J’imaginais aus­si, pour le musée, ne pas faire un pro­jet fran­co-fran­çais, bien que les col­lec­tions y soient for­te­ment cen­trées sur l’histoire natio­nale, mais bien reve­nir à la vision plus ouverte qu’avait Viol­let-le-Duc au moment de la créa­tion du Musée de sculp­ture com­pa­rée. J’avais par exemple ima­gi­né de pré­sen­ter une sec­tion sur le gratte-ciel, qui est un thème grand public, au lieu de mon­trer le nom­bril des archi­tectes se regar­dant le nom­bril. Cela a été com­plè­te­ment bat­tu en brèche par le pre­mier pré­sident de la Cité, Fran­çois de Mazières, qui m’a dit lit­té­ra­le­ment : « Votre pro­jet est un peu trop cos­mo­po­lite. » Je n’insiste pas sur les conno­ta­tions de cette épi­thète. 

Le pro­jet de Chaillot avait dans mon esprit une por­tée poli­tique. Il devait être un lieu ou les archi­tectes auraient pu apprendre à s’adresser au public, et où le public aurait pu com­prendre, symé­tri­que­ment, que l’architecture n’était pas que pour les ins­ti­tu­tions et les riches, qu’elle était acces­sible. Cela sup­po­sait des types dif­fé­rents d’exposition et de média­tion. Je suis convain­cu qu’une ins­ti­tu­tion comme Chaillot ne trou­ve­ra pas le grand public par la seule com­mu­ni­ca­tion. Elle ne recru­te­ra pas, par exemple, le public sco­laire sim­ple­ment en fai­sant venir des classes dans des expo­si­tions toutes faites. Elle doit mon­ter des pro­grammes enga­geant des for­ma­teurs, des ensei­gnants de tous niveaux, qui fini­ront par faire boule de neige, et aus­si fabri­quer le public des pro­chaines géné­ra­tions. 

Que pen­sez-vous de musées d’urbanisme comme ceux de Pékin ou de Shan­ghai ? 

J.-L. C./ Ce sont des musées de ville, genre très par­ti­cu­lier, dont le repré­sen­tant à Paris est moins la Cité que le Pavillon de l’Arsenal, ins­ti­tu­tion ancrée dans l’actualité de la ville et qui s’adresse à la com­mu­nau­té des habi­tants. Le vrai pro­blème à Paris serait plu­tôt qu’il n’y ait pas de musée ou d’institution cultu­relle qui repré­sente la métro­pole. Il ne serait pas incon­gru de créer un musée, ou en tout cas un centre cultu­rel du Grand Paris, qui per­met­trait aux gamins des ban­lieues de se sen­tir non pas seule­ment d’un vil­lage urbain ou d’une cité mais d’une grande enti­té, avec ses pro­blèmes mais aus­si avec ses res­sources, son poten­tiel, son his­toire. On pour­rait du coup uti­li­ser des médias popu­laires, comme ceux de ces musées dont vous par­lez : maquettes de grande taille, écrans, banques de don­nées, spec­tacles… J’aimerais beau­coup contri­buer à un tel pro­jet s’il trou­vait un por­teur. 

Un des prin­cipes consti­tu­tifs pour la Cité, que les équipes futures fini­ront par redé­cou­vrir, est ce que j’appellerais le prin­cipe d’« hos­pi­ta­li­té ». Il s’agirait là d’inverser la figure clas­sique qui est celle des musées d’art moderne depuis le MoMA de New York, celle aus­si du Centre Pom­pi­dou, où l’art accueille avec plus ou moins de réti­cence l’architecture. Pour­quoi ne pas pen­ser, à l’opposé, la Cité comme un lieu où l’architecture invi­te­rait les nom­breux artistes qui s’intéressent à la ville et à l’architecture, les cinéastes, les écri­vains, les pay­sa­gistes, à venir s’exprimer en réfé­rence à leurs champs d’action et de pré­oc­cu­pa­tion res­pec­tifs ? Ce serait un lieu de pro­duc­tion bien plus dyna­mique et bien moins ennuyeux qu’il ne l’a été au cours des cinq der­nières années. 

Pre­nons aus­si un pro­blème actuel, celui de la crise des voca­tions dans les métiers du bâti­ment. Cette crise résulte de ce que ces métiers ont une image rin­garde, pas le moins du monde high-tech – et je ne parle pas de la péni­bi­li­té. La Cité pour­rait trou­ver des pro­grammes pour rendre ces métiers plus popu­laires et leur construire une image plus sti­mu­lante, avec la contri­bu­tion des branches pro­fes­sion­nelles. 

Vous avez écrit quelques ouvrages solides sur des villes… 

J.-L. C./ J’aime les villes et les fré­quente, avant de les étu­dier. Je n’ai pas conçu tous ces ouvrages sous le même angle, mais en géné­ral ma pro­blé­ma­tique dépasse celle de l’histoire de l’urbanisme com­prise comme seule his­toire des plans de ville ou des formes de régu­la­tion de la ville. Je m’intéresse plus glo­ba­le­ment aux cultures urbaines, aux rap­ports entre les édi­fices, les ensembles, les pay­sages, la culture imma­té­rielle non direc­te­ment ins­crite dans l’environnement, la lit­té­ra­ture ou le ciné­ma. Le pre­mier ouvrage écrit dans cette pers­pec­tive est Des for­tifs au périf, lié à une expo­si­tion sur la cein­ture de Paris orga­ni­sée en 1991 au Pavillon de l’Arsenal et conçue, comme le livre, avec André Lor­tie. Je crois beau­coup à la syner­gie entre ces deux pra­tiques. L’exposition est une manière de faire un meilleur livre, le livre est une manière de faire une meilleure expo­si­tion, parce qu’au-delà de la col­lecte des objets, il devient pos­sible d’écrire un récit qui les rac­corde. Quant à l’exposition sur Casa­blan­ca, réa­li­sée avec Monique Eleb en 1999 à l’Espace Elec­tra, elle décou­lait du fait que nous avions tra­vaillé sur cette ville pen­dant douze ans et déjà publié un épais volume à son pro­pos. 

Dans l’exposition « Inter­fé­rences. Archi­tec­ture, France-Alle­magne, 1800–2000 », que j’ai conçue avec Hart­mut Frank et qui a ouvert fin mars à Stras­bourg, il est beau­coup ques­tion d’urbanisme, et l’on montre de grandes maquettes de ville. Elle conclut vingt-cinq ans de recherches por­tant autant sur des ques­tions d’urbanisme que d’architecture, et pré­sente une chaîne de conjonc­tures, de moments struc­tu­rants dans l’histoire des villes, sai­sis bien enten­du dans le champ des inter­fé­rences franco-allemandes.

Je m’intéresse aus­si par­fois au déploie­ment de grands récits dia­chro­niques, le plus sou­vent à l’occasion de tra­vaux de com­mande. Je pense au livre sur New York que j’ai fait pour Cita­delles & Maze­nod, dont le texte passe peut-être inaper­çu tant les images sont cha­toyantes, mais qui est un récit sur la fabri­ca­tion du site et les com­po­santes de la métro­pole new-yorkaise.

Pour uti­li­ser un terme de la théo­rie lit­té­raire, pro­po­sé par l’historien de la lit­té­ra­ture Mikhaïl Bakh­tine dans Esthé­tique et théo­rie du roman, je mets en oeuvre la notion de « chro­no­tope », c’est-à-dire celle de la ren­contre entre un lieu et une tem­po­ra­li­té, ce qui, on le sait, est la base du théâtre. Je pense par exemple au chro­no­tope de la construc­tion de l’enceinte de Thiers à Paris ou à celui de sa démo­li­tion, ou encore au chro­no­tope du plan de Prost pour Casa­blan­ca et à celui des opé­ra­tions d’Écochard dans les années 1950. C’est ain­si que j’essaie de sai­sir des villes à des moments révé­la­teurs, par­fois dou­lou­reux, par­fois obs­curs et tou­jours com­plexes, de leur his­toire ; et aus­si de faire réap­pa­raître à la lumière des épi­sodes oubliés ou des formes de rela­tions refoulées.

J’en viens ici à la notion d’inter-urbanité, au fait qu’aucune ville ne peut être sai­sie dans son his­toire propre de façon autar­cique. On ne com­prend la ville de Ber­lin qu’en pen­sant qu’elle a vou­lu suc­ces­si­ve­ment et par­fois simul­ta­né­ment être Athènes, Chi­ca­go, Paris, Londres, ou Mos­cou. Et Paris a obser­vé Rome, Londres, et aus­si Ber­lin et New York, s’en est appro­prié des dis­po­si­tifs, les a trans­po­sés, inter­pré­tés – de façon cor­recte ou erro­née – et déployés. L’histoire des villes est faite de ces « trans­ferts cultu­rels », pour uti­li­ser la notion pro­po­sée par le ger­ma­niste Michel Espagne, de trans­la­tions de figures, de théo­ries, de tech­niques d’une ville à une autre. On pour­rait aus­si par­ler de « récep­tion », un terme pro­po­sé par le théo­ri­cien de la lit­té­ra­ture Hans Robert Jauss, pour ana­ly­ser la façon dont l’expérience pari­sienne est lue, inter­pré­tée et trans­for­mée par les urba­nistes prus­siens des années 1860. Dans le cas de l’inter-urbanité entre Paris et Ber­lin, le modèle hauss­man­nien, qui est un modèle de trans­for­ma­tion de la ville sur elle-même, puis, modé­ré­ment, d’extension dans les arron­dis­se­ments péri­phé­riques après 1860, devient à Ber­lin un modèle de crois­sance. Les figures fran­çaises sont uti­li­sées pour lotir, dans un très vaste et très large anneau, la péri­phé­rie de Ber­lin. C’est un exemple de la manière dont les prin­cipes, les dis­po­si­tifs changent de sens.

Il s’agit là d’un cas d’«inter-urbanité », terme for­mé en écho à l’«inter-textualité », concept pro­po­sé par Julia Kris­te­va et déve­lop­pé par Gérard Genette, et qui rend compte des rela­tions entre textes, qui vont de la cita­tion pure et simple à la para­phrase, à l’inclusion, à l’homologie ou à l’homomorphisme. Je m’intéresse beau­coup à ces his­toires paral­lèles et croi­sées, au point peut-être d’avoir envie un jour d’en faire un vrai livre. Il per­met­trait de voir par exemple, dans le cas de Bue­nos Aires, que les Por­teños sont per­sua­dés que leur ville est mode­lée sur Paris – ce qui est vrai dans quelques coins où l’on a l’impression d’être dans le quar­tier des Ternes –, mais il s’agit en fait d’un Paris pas­sé au filtre de New York, ou d’un Milan pas­sé au filtre de Madrid. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut com­prendre com­ment les villes naissent, gran­dissent, dégé­nèrent, et meurent par­fois, sans ces­ser de se regar­der l’une l’autre.

Quels sont vos pro­jets actuels ?

J.-L. C./ Un de mes pro­jets, à pro­pos de l’inter-urbanité, est de mon­ter une expo­si­tion qui n’a jamais été réa­li­sée jusqu’ici et qui ne figu­rait pas, par exemple, dans le trip­tyque fon­da­teur du Centre Pom­pi­dou consti­tué de « Paris-New York », « Paris-Ber­lin », « Paris-Mos­cou ». Ce serait « Paris-Londres », dans laquelle on trou­ve­rait beau­coup d’interférences dans le champ de l’urbanisme, depuis le XVIIe siècle jusqu’à nos jours.

Je pré­pare aus­si une expo­si­tion sur le pay­sage dans l’oeuvre de Le Cor­bu­sier, qui ouvri­ra en juin au MoMA de New York. Elle per­met­tra de voir com­bien un archi­tecte, dont on ne cesse de dire qu’il avait le plus grand mépris pour les villes exis­tantes et qu’il a conçu des bâti­ments comme des sortes de formes cris­tal­lines et flot­tantes, a bien au contraire obser­vé les lieux, conçu des mai­sons comme étant des chambres claires pour obser­ver le pay­sage, et pro­po­sé en défi­ni­tive une réflexion extrê­me­ment fine sur l’ajustement de ses pro­jets au pay­sage. Ce tra­vail débou­che­ra éga­le­ment sur un livre dont la struc­ture sera adap­tée au thème, puisqu’il s’agira d’un atlas, c’est-à-dire un livre construit selon un prin­cipe géo­gra­phique et topographique.

Et il y a des villes que j’aime et sur les­quelles je n’ai encore rien écrit, ou rien de sérieux : Rio de Janei­ro, Bue­nos Aires, Shan­ghai, Johan­nes­bourg… Il y a un temps pour tout./

Pro­pos recueillis par Antoine Lou­bière et Annie Zimmermann 

Sal­va­dor de Bahia (2007). © Jean-Louis Cohen

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