Jean-Marc Jancovici : « Changer la façon dont nous gérons notre avenir commun »

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Fondateur et associé de Carbone 4 et président du think tank The Shift Project.

 

Com­ment appré­hen­dez-vous la tra­jec­toire des villes pour par­ve­nir à la neu­tra­li­té carbone ?

Jean-Marc Jancovici/ Les villes n’ont pas d’existence auto­nome. En ville, vous ne fabri­quez pas les vête­ments que vous por­tez, vous ne faites pas pous­ser les ali­ments que vous man­gez, vous ne pro­dui­sez pas les biens que vous consom­mez. En cette période où les flux phy­siques sont for­te­ment ralen­tis, il est facile de consta­ter que les villes ne peuvent pas vivre indé­pen­dam­ment du reste. Quand les tou­ristes chi­nois et amé­ri­cains ne sont plus là, Paris est beau­coup moins émis­sive en CO2, mais une par­tie de la ville est à l’arrêt. Les Pari­siens, heu­reu­se­ment, conti­nuent à man­ger, car les camions cir­culent. Comme la ville est dépen­dante du reste du monde, aller vers une empreinte car­bone nulle pour la ville, c’est en fait aller vers une empreinte car­bone nulle pour la pla­nète. Toute l’économie est interconnectée.

Si on se place dans une pers­pec­tive sécu­laire, les grandes villes appa­raissent dans des pays qui com­mencent à goû­ter aux joies de l’énergie abon­dante. Il faut deux condi­tions : d’abord que les gens ne soient plus néces­saires à la cam­pagne, ce qui arrive avec le machi­nisme agri­cole et les engrais, c’est-à-dire l’énergie ; par ailleurs, il faut une pro­duc­tion indus­trielle impor­tante parce qu’en ville, on ne pro­duit rien mais on loge les ser­vices, c’est-à-dire la ges­tion de la pro­duc­tion phy­sique. Il faut donc énor­mé­ment de flux phy­siques à gérer et de machines au tra­vail. L’idée selon laquelle les ser­vices sont la marque d’une éco­no­mie déma­té­ria­li­sée est hélas fausse. C’est l’inverse : ils cor­res­pondent à une éco­no­mie maté­rielle, avec des machines et un monde très com­plexe dont la ges­tion néces­site beau­coup de monde.

Si j’inverse le rai­son­ne­ment, une ville dans un monde neutre en car­bone, où il y a beau­coup moins d’énergie, doit être plus petite. C’est le para­doxe. Je ne crois pas une seconde qu’on puisse faire une conur­ba­tion « Ile-de-France » de 10 mil­lions d’habitants qui soit neutre en car­bone, ou qui arri­ve­ra à sur­vivre éco­no­mi­que­ment, voire phy­si­que­ment, dans un monde neutre en car­bone. C’est impossible.

Que convien­drait-il alors de faire ?

Jean-Marc Jancovici/ On croit qu’il suf­fit de vou­loir conti­nuer le monde actuel pour qu’il conti­nue. S’il y a au moins un ensei­gne­ment à tirer de la crise sani­taire et éco­no­mique qui se déroule sous nos yeux, c’est que notre volon­té n’est pas le seul déter­mi­nant dans cette affaire, et que le monde a ses propres méca­nismes de régu­la­tion qui, de temps en temps, ne nous demandent rien. Le propre d’un monde qui n’est pas durable est de ne pas durer. S’il ne dure pas, c’est qu’il y a des méca­nismes qui cor­rigent la tra­jec­toire, et, si nous ne les avons pas sou­hai­tés, ils sont désagréables.

L’équation de Kaya, bien connue des gens qui s’intéressent au cli­mat, exprime que les émis­sions de CO2 sont le pro­duit de la popu­la­tion, du PIB par per­sonne, de l’énergie uti­li­sée par uni­té de PIB, et des émis­sions de CO2 par uni­té d’énergie. Or les émis­sions de CO2 se met­tront fata­le­ment à bais­ser un jour, soit parce qu’il y aura de moins en moins de com­bus­tibles à brû­ler, soit parce qu’un autre évè­ne­ment limi­tant sera inter­ve­nu, soit parce que nous l’aurons déci­dé. Mais cela arri­ve­ra un jour, c’est cer­tain ! À ce moment-là, si l’effort mené sur la par­tie tech­nique (effi­ca­ci­té éner­gé­tique de l’économie ; baisse du conte­nu car­bone de l’énergie) n’est pas en phase avec la baisse du CO2, la taille de la popu­la­tion ou son niveau de vie seront les variables d’ajustement. Jamais il n’a été dit que la régle­men­ta­tion sur les émis­sions était le seul fac­teur à même de les faire bais­ser ; ce peut être la limite du pétrole dis­po­nible, ou un acci­dent de par­cours comme celui que nous vivons en ce moment. En pareil cas, tout ce qui ne sera pas fait sur les marges de manœuvre volon­taires le sera sur des marges involontaires.

Quel serait le meilleur scé­na­rio pour la taille des villes ?

Jean-Marc Jancovici/ Il faut à la fois den­si­fier et dimi­nuer. Le bon modèle urbain, c’est Cahors ou Car­cas­sonne, des petites villes très com­pactes, avec une bar­rière franche et der­rière, plus de ville du tout. Gre­noble, au fond d’une cuvette, pour­rait cor­res­pondre à cette défi­ni­tion, même si la ville s’étale au fond de la val­lée, et est pro­ba­ble­ment déjà trop grosse, ou encore Anne­cy. Une petite ville dépend moins des trans­ports longue dis­tance qu’une ville impor­tante. L’Ile-de-France ne peut en aucune manière envi­sa­ger de nour­rir ses habi­tants avec son agri­cul­ture propre. His­to­ri­que­ment, les villes anciennes ont été le plus sou­vent construites sur des bas­sins sédi­men­taires fer­tiles, et ali­men­tées par les sur­plus déga­gés par l’agriculture de proxi­mi­té (quelques jours de trans­port à dos d’homme ou d’animal). L’expansion urbaine est allée de pair avec le déve­lop­pe­ment des trans­ports et a, par ailleurs, consom­mé la terre agri­cole, en géné­ral d’excellente qua­li­té, voi­sine de la ville. Par exemple, le pla­teau de Saclay fai(sai)t par­tie des meilleures terres à blé d’Europe.

Les villes res­tent très émet­trices, notam­ment à cause du chauffage.

Jean-Marc Jancovici/ Sur ce point, les villes et les cam­pagnes sont pareilles dès lors que l’habitat est de même nature, sachant que le loge­ment col­lec­tif est un peu plus effi­cace de ce point de vue (moins de sur­faces en contact avec l’extérieur par loge­ment). Le fait qu’il y ait plus de monde dans les villes ne rend pas le pro­blème dif­fé­rent. Certes, c’est plus facile de mettre des pompes à cha­leur géo­ther­miques dans le monde rural et des réseaux de cha­leur en ville. Mais en dehors de cette dimen­sion tech­nique, le fait de décar­bo­ner le chauf­fage n’est pas néces­sai­re­ment ren­du plus simple en ville.

Com­ment limi­ter les gaz à effet de serre issus des éner­gies fossiles ?

Jean-Marc Jancovici/ Il existe plu­sieurs marges de manœuvre. La pre­mière est de consom­mer moins. Selon que c’est choi­si ou subi, cela s’appelle la sobrié­té ou la pau­vre­té. Mais c’est une mesure réces­sive dans tous les cas de figure : moins consom­mer, c’est moins pro­duire ! Deux autres marges de manoeuvre existent : d’abord, l’augmentation de l’efficacité éner­gé­tique, et dans le bâti­ment, cela passe par l’isolation. Ensuite, la décar­bo­na­tion de l’énergie. Si en France on pas­sait toutes les chau­dières au gaz et au fuel à la pompe à cha­leur, on évi­te­rait l’essentiel des émis­sions du bâti­ment en se pri­vant très peu sur l’espace habi­table. Mais le rythme est beau­coup trop lent – hors éco­no­mie pla­ni­fiée, jamais nous n’irons à la bonne vitesse. Il y a près de 30 mil­lions de loge­ments. Pour tout décar­bo­ner en trente ans, il fau­drait en trai­ter un mil­lion par an. Cela sup­pose de faire entrer des cen­taines de mil­liers de per­sonnes dans l’artisanat, de les for­mer, de leur garan­tir un volume d’activité et de se don­ner les moyens de véri­fier qu’ils tra­vaillent bien. Il faut un dis­po­si­tif d’accompagnement, mais aus­si que les pro­prié­taires mettent la main à la poche. Dans le sec­teur indus­triel, il fau­drait se pas­ser d’une par­tie des volumes et des pro­duits qu’on fabrique avec. Ce qui est pos­sible pour les embal­lages plas­tiques sera plus com­pli­qué pour l’acier. On sera obli­gé de faire des choix. Comme nous rai­son­nons jusqu’à pré­sent dans un uni­vers en crois­sance, nous pen­sons que nous n’aurons pas de choix à faire.

Qu’est-ce qui empêche d’avoir une part plus impor­tante d’énergies renouvelables ?

Jean-Marc Jancovici/ À consom­ma­tion constante, la phy­sique. L’essor indus­triel a consis­té à aban­don­ner les éner­gies renou­ve­lables pour les éner­gies fos­siles. Si les éner­gies renou­ve­lables étaient égales ou supé­rieures aux éner­gies fos­siles, il n’y aurait aucune rai­son qu’on soit pas­sé des mou­lins à vent au pétrole. Le pétrole est extrê­me­ment dense éner­gé­ti­que­ment, il est facile à trans­por­ter et à sto­cker ; der­rière, d’autres éner­gies ne sont pas loin : le char­bon, le gaz et le nucléaire. Les éner­gies inter­mit­tentes et dif­fuses (vent et soleil) ont été aban­don­nées pour bâtir notre civi­li­sa­tion de machines pilo­tables. Aujourd’hui, les éoliennes ne valent pas cher parce que nous avons des com­bus­tibles fos­siles et des chaînes mon­dia­li­sées ! Leurs mâts sont faits avec du char­bon, leurs plots avec du ciment fabri­qué avec du gaz, à l’intérieur il y a du cuivre fabri­qué du char­bon, tout cela est trans­por­té depuis l’autre bout du monde avec du pétrole…

Quant au pho­to­vol­taïque, il n’y a pas plus mon­dia­li­sé. Le soleil est donc local, mais le dis­po­si­tif de col­lecte abso­lu­ment pas. Le bas prix des éoliennes et des pan­neaux solaires repose sur les com­bus­tibles fos­siles. Quand ces com­bus­tibles ne seront plus du tout là, le prix de tout et n’importe quoi devien­dra beau­coup plus éle­vé, y com­pris les dis­po­si­tifs de col­lecte du vent et du soleil.

À l’échelle urbaine, les mobi­li­tés consti­tuent un autre poste très émet­teur de GES. Quelle est votre approche ?

Jean-Marc Jancovici/ Dans l’aire urbaine centre, il existe une offre de trans­ports en com­mun four­nie, et une offre de ser­vices qui per­met de faire presque tout avec des dépla­ce­ments courts, voire à pied. Le pro­blème est en par­tie réglé. En zone péri­ur­baine, c’est l’inverse.

Il n’y a pas de trans­ports en com­mun, la dis­tance pour accé­der aux ser­vices est plus longue, le recours au trans­port indi­vi­duel méca­ni­sé – qui per­met de conser­ver des temps de dépla­ce­ment « bio­lo­gi­que­ment accep­tables » – est net­te­ment plus fort. Cela ne va pas chan­ger demain. Les trans­ports en com­mun néces­sitent une den­si­té mini­male pour être ren­tables. Il faut bas­cu­ler sur des modes net­te­ment moins émet­teurs. Le vélo à assis­tance élec­trique pour­rait être à l’origine d’un report modal signi­fi­ca­tif, car il per­met des por­tées plus longues qu’un vélo nor­mal, avec une bar­rière à l’entrée plus faible côté effort. Mais ce qui fait le plus peur au cycliste, ce n’est ni la pluie ni l’effort, c’est la coha­bi­ta­tion avec les voi­tures, et donc il faut une voi­rie sépa­rée pour que son usage se déve­loppe vrai­ment. Quant à la voi­ture élec­trique, elle est un mode de sub­sti­tu­tion lent à se déployer parce qu’elle demande des inves­tis­se­ments très consé­quents (dans les moyens de pro­duc­tion, les infra­struc­tures de recharge, et le rem­pla­ce­ment de véhicules).

 Les villes doivent se pré­pa­rer à des situa­tions cli­ma­tiques extrêmes. Com­ment appré­hen­dez-vous leur adaptation ?

Jean-Marc Jancovici/ En ville, le risque est d’avoir chaud, mais la cani­cule urbaine relève de l’inconfort, rare­ment de la mort, sauf pour les per­sonnes très âgées ou très malades. Les inon­da­tions peuvent faire des dégâts, mais le pre­mier pro­blème que ren­con­tre­ront les villes est celui de la dépen­dance à l’égard de res­sources essen­tielles situées à l’extérieur, qui, elles, sont à risque avec le chan­ge­ment cli­ma­tique. C’est le cas s’il n’y a plus assez à man­ger, que les voies de com­mu­ni­ca­tion sont rom­pues, que l’approvisionnement élec­trique fait défaut, que les chaînes logis­tiques et indus­trielles sont pro­gres­si­ve­ment dégra­dées, et si l’instabilité poli­tique qui en découle trans­forme ces endroits en pri­son à ciel ouvert, ce dont l’épisode actuel nous donne un petit aper­çu. Les consé­quences de ces pro­ces­sus-là seront bien plus lourdes que les cani­cules. En outre, aux hori­zons de temps dont on parle, on aura une décrue éner­gé­tique subie, en par­ti­cu­lier pour le pétrole, ce qui affai­bli­ra notre capa­ci­té de réponse.

Moins d’énergie, c’est moins de machines pour nous assis­ter, et donc une capa­ci­té à faire face aux pro­blèmes qui baisse.

La crise sani­taire et le chan­ge­ment cli­ma­tique sont deux phé­no­mènes dis­tincts. Peut-on néan­moins les pen­ser ensemble ?

Jean-Marc Jancovici/ Le réchauf­fe­ment cli­ma­tique peut favo­ri­ser l’émergence d’agents patho­gènes nou­veaux ou la dis­sé­mi­na­tion d’agents exis­tants. Le chan­ge­ment des condi­tions de tem­pé­ra­ture et d’humidité d’un cer­tain nombre de milieux modi­fie la pro­pen­sion des ani­maux à se por­ter plus ou moins bien, à se déve­lop­per plus ou moins vite, etc. Jusqu’à pré­sent, ce sont sur­tout sur les mala­dies à vec­teurs (trans­mises par un mous­tique, une tique, etc.) comme la dengue ou le palu­disme que l’attention était por­tée ; la ques­tion des virus est moins étu­diée je crois.

Un autre fait envi­ron­ne­men­tal peut être asso­cié aux mala­dies virales : le rap­pro­che­ment de l’homme d’un cer­tain nombre d’espèces ani­males qui sont des réser­voirs à virus. Cette fois, un lien existe non pas avec le chan­ge­ment cli­ma­tique, mais avec la défo­res­ta­tion, qui est aus­si un fac­teur d’émission de CO2.

Par ailleurs, l’énergie contri­bue, elle aus­si, au chan­ge­ment climatique.

Avec l’énergie abon­dante, les gens se sont entas­sés dans les villes, et on a orga­ni­sé des chaînes mon­dia­li­sées : ces fac­teurs favo­risent la pro­pa­ga­tion plus rapide des pan­dé­mies. Quand les popu­la­tions étaient dis­sé­mi­nées à la cam­pagne, avec peu de com­mu­ni­ca­tions longue dis­tance, il fal­lait une mala­die très conta­gieuse et très létale, comme la peste, pour assis­ter à des dégâts à large échelle. La grippe espa­gnole, arri­vée au début du XXe siècle, a été plus faci­le­ment répan­due dans un monde déjà urbanisé.

Avez-vous réflé­chi à l’après-Covid-19 ?

Jean-Marc Jancovici/ Nous y tra­vaillons au Shift Pro­ject : dans les mois qui viennent, nous allons publier un plan de redé­mar­rage ain­si que des sug­ges­tions de contre­par­ties à deman­der aux acti­vi­tés aidées qui contri­buent trop à la désta­bi­li­sa­tion cli­ma­tique. Si nous pre­nons l’exemple de l’aérien, beau­coup de péti­tions de prin­cipe cir­culent, sug­gé­rant de ne pas relan­cer le trans­port aérien à l’identique. En pra­tique, faut-il divi­ser par deux la fré­quence de la liai­son aérienne entre Paris et Fort-de-France ? Sup­pri­mer la ligne Paris-Tou­louse ? Obli­ger Air France à com­man­der des avions qui volent à 500 km/h et consomment deux fois moins ? C’est sur le « En pra­tique, cela veut dire quoi ? » qu’il faut tra­vailler. Notre tra­vail sera de pro­duire des mesures pré­cises qui donnent lieu à des débats articulés.

Vous recon­nais­sez-vous dans un impé­ra­tif de frugalité ?

Jean-Marc Jancovici/ Je me méfie un tout petit peu des concepts por­tés par des « nan­tis de centre-ville ». Je ne suis pas sûr que la per­sonne confi­née dans son appar­te­ment sans bal­con dans le nord de Paris, avec deux enfants qui braillent, et qui se demande si elle ne va pas se faire virer dans un mois, soit très pré­oc­cu­pée par la sobriété !

Je suis, par contre, inti­me­ment per­sua­dé que cette per­sonne a besoin d’une socié­té de pro­jet, de savoir où l’on va, même si on doit trans­pi­rer au début et pas­ser par une étape par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile. Or, la socié­té de pro­jet, vous ne pou­vez la pro­po­ser que si vous y avez réflé­chi. Ce n’est pas dans l’urgence qu’elle se conçoit.

Peu de gens s’attendaient à l’épisode que nous vivons. Par contre, qu’on soit en train de dan­ser sur un vol­can et qu’il faille construire une socié­té plus rési­liente, c’est un pro­pos qui ne date pas d’hier.

Quand, quoi, com­ment : le pro­nos­tic pré­cis est tou­jours dif­fi­cile ; mais nous sommes un cer­tain nombre à avoir dit qu’il allait nous arri­ver des sur­prises désa­gréables parce que les pres­sions crois­santes allaient en ce sens.

Ce que montre l’épisode actuel, c’est qu’à par­tir du moment où l’enjeu le jus­ti­fie, on est capable en une semaine d’abdiquer une grande part de nos liber­tés indi­vi­duelles et de sup­pri­mer le tiers de l’économie. La vraie ques­tion est de savoir à quel moment il y aura une union sacrée de gens qui diront : « On n’a plus le choix en ce qui concerne la pres­sion environnementale. »

Il n’y a guère d’optimisme dans vos propos.

Jean-Marc Jancovici/ C’est plu­tôt un peu de dépit. Cela fait des décen­nies que nous pou­vons docu­men­ter ce qui nous attend si on ne fait rien, et pour autant nous conti­nuons à nous com­por­ter comme des enfants insou­ciants. L’espèce humaine a un petit pro­blème avec les échelles de temps. On n’aime pas écou­ter Cas­sandre. Et quand nous pas­sons à l’action, ce n’est pas tou­jours pour faire des choses qui règlent le pro­blème ! Un exemple : à la fin 2018, l’éolien et le solaire sont assu­rés de pré­le­ver de l’ordre de 120 mil­liards d’euros au contri­buable fran­çais. C’est autant que le coût his­to­rique de construc­tion du parc nucléaire fran­çais, plus que celui de construc­tion du réseau fer­ro­viaire, et de quoi dou­bler tout kilo­mètre de route en France d’une piste cyclable.

Or, ren­for­cer le train, le vélo ou le nucléaire serait bien plus per­ti­nent pour « déris­quer » l’avenir.

Dans notre monde infi­ni, nous ne por­tons plus de pro­jets, mais nous nous occu­pons des moyens (les mar­chés, la concur­rence, le défi­cit bud­gé­taire), en pen­sant que le pro­jet sur­vien­dra tout seul. Si les moyens étaient capables de don­ner du sens à long terme, cela se sau­rait ! Plus que d’objets nou­veaux, nous avons besoin de revi­si­ter des dogmes que nous consi­dé­rons comme intou­chables, de chan­ger la façon dont nous gérons notre ave­nir commun.

Beau­coup de gens demandent : « Est-ce qu’on va pro­fi­ter de la situa­tion pour prendre une autre direc­tion ? » Mal­heu­reu­se­ment, ce n’est pas dans l’urgence qu’on fait le plan d’urgence. La prio­ri­té pour les gou­ver­ne­ments, et elle est légi­time, c’est de remettre les gens au tra­vail. La façon la plus immé­diate pour le faire est de leur deman­der de faire ce qu’ils savent faire, sans se poser la ques­tion de savoir si des limites au redé­mar­rage à l’identique ne vont pas se mani­fes­ter rapi­de­ment. De nom­breuses per­sonnes influentes (déci­deurs, éco­no­mistes, poli­tiques) vivent avec l’illusion qu’on va pou­voir ne rien chan­ger. Il est pour­tant urgent de le faire. Au Shift Pro­ject, nous allons mon­trer com­ment c’est possible.

Sté­phane Keï­ta et Jean-Michel Mestres

 Pho­to : Jean-Marc Jan­co­vi­ci © Antoine Bonfils

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