Jean Rottner : « Sans fierté territoriale, la cohabitation opère moins bien »
Interview de Jean Rottner lors de la 42e Rencontre des agences d’urbanisme
Jean Rottner est président de la Région Grand Est et président de la Fédération nationale des agences d’urbanisme (Fnau).
Le thème de cette 42e Rencontre était «Co-habitons!», sous la forme d’une injonction. Quelles sont selon vous les conditions d’une cohabitation territoriale épanouie ?
Jean ROTTNER : Le procès de l’étalement urbain organisé lors de cette rencontre illustre bien les regards extérieurs, critiques, que l’on jette sur la cohabitation et l’étalement urbain.
Les témoignages ne sont pas du tout les mêmes en fonction de ceux qui observent ces lieux et de ceux qui y vivent. Le terme « cohabiter » me paraît important dans la mesure où il invite à se confronter, à évoluer et à produire ensemble des mondes qui fonctionnent en parallèle. Selon moi, dans « cohabiter », le tiret est de trop; il est là en forme de provocation.
En effet, la cohabitation questionne la manière de développer et de faire progresser notre bien commun, en prenant aussi en considération les erreurs du passé. Lorsqu’on est élu, il faut savoir les assumer et ne pas les reproduire, en tenant compte des aspects réglementaires qui ont été évoqués, que ce soit sur la consommation foncière ou l’artificialisation des sols. C’est la difficulté politique de l’époque, sachant qu’il faut aussi tenir compte, à un moment donné, d’une certaine pression sociale.
Le terme «cohabiter » se traduit donc en insufflant une volonté sociale à un projet politique, pour porter une vision urbaine et architecturale pérenne qui inclue les notions de bienêtre, de bienvivre et de fierté d’appartenance au territoire.
Ce sentiment d’appartenance, évoqué pendant la rencontre, est-il indispensable à la cohabitation ?
J.R. : Il n’est pas présent partout avec la même intensité. À Dunkerque, par exemple, il est très fort grâce à cette fameuse fierté d’être du Nord. Mais développe-t-on ce sentiment d’appartenance lorsque l’on vit dans une « cité-dortoir » de banlieue parisienne ? Peut-être pas au même niveau ni avec les mêmes sentiments. Le sentiment auquel je fais référence est celui du terroir, lorsqu’on ouvre ses volets le matin et que l’on a quelque chose à contempler. Derrière cela, on retrouve les productions de services, la qualité de vie et, encore une fois, la notion de bien commun. S’il n’y a pas de fierté territoriale, la cohabitation opère moins bien. Celui qui ne se sent ni bien, ni fier, et qui ne jette pas un regard positif sur son territoire, ne va pas forcément participer à la vie sociale du quartier. C’est ce que nous cherchons à développer aussi en tant qu’élu : l’attractivité d’un territoire par le lien.
La cohabitation avec le vivant a été longuement abordée et les débats ont exposé des points de vue parfois très différents, voire divergents. Qu’en pensez-vous ?
J.R. : C’est mon débat du quotidien. Le rapport avec le vivant peut concerner, par exemple, la biodiversité dans le monde agricole, ou encore la consommation d’un massif montagneux.
Il y a, alors, des choix à faire : faut-il donner la priorité au tourisme ?, à la biodiversité ?, à l’activité économique ? C’est aussi le débat sur le ZAN (zéro artificialisation nette)… Les agences d’urbanisme sont là pour défricher, déceler les signaux faibles et les transmettre aux élus afin de les aider à prendre les bonnes décisions. S’il y a encore beaucoup de débats, c’est parce qu’il n’y a pas de solutions unanimes. Les études sur la faune et la flore réalisées avant chaque projet, les contestations, le débat démocratique et citoyen… Tout cela est sain. Le débat doit être un lieu de confrontation, mais pas d’opposition. Il doit générer du progrès pour la ville dans les choix urbains et agricoles. C’est la responsabilité sociale et environnementale de l’urbanisme de l’animer.
La notion de cohabitation implique sans doute de nouvelles hiérarchies des arbitrages pour le développement territorial et urbain. En tant qu’élu local, pensez-vous que cela constitue un nouveau paradigme ?
J.R.: La question que pose ce nouveau paradigme est : « Vit-on cela comme une contrainte ou comme une chance ? » Avec les contrats de relance écologiques et économiques signés avec l’État et les départements, il n’y a pas une intercommunalité qui ne soit pas revenue sur les difficultés d’appréhender la consommation foncière, la manière d’implanter les entreprises, l’accompagnement qu’elles vont pouvoir produire… Ce sont des questions essentielles, mais il y a une forme d’impréparation des responsables politiques. Encore une fois, les agences d’urbanisme sont pourvoyeuses de solutions. Cela ne veut pas dire qu’on met fin au développement économique ou à l’extension de certaines zones recherchées par un public souhaitant s’installer sur certains territoires, mais qu’il faut le faire de manière différente et intelligente. Nous sommes dans la pédagogie, car ces questions sont extrêmement complexes. Le défi est de travailler encore mieux ensemble face aux impératifs climatiques, agricoles, de biodiversité, qui sont majeurs. Et le rôle de l’État est de faire confiance, d’être bienveillant vis-à-vis des collectivités. C’est ce que réclament les élus. Nous sommes dans la même équipe de France. L’État fixe un cadre réglementaire, mais il y a une nécessité à laisser une forme de différenciation. C’est aussi cela la cohabitation : accepter qu’on ne fasse pas la même chose sur tous les territoires. C’est du bon sens.
En 2020, la 41e édition à Brest expérimentait une formule hybride, en présentiel et en distanciel. La 42eRencontre a renouvelé ce principe, tout en permettant à plus de 200 participants de se retrouver physiquement à Dunkerque, renouant avec une convivialité qui avait manqué à tous.
En êtes-vous heureux ?
J.R. : C’est une double source de satisfaction. D’une part, recevoir jusqu’à 250 personnes physiquement, en fonction des moments, d’autre part, que le numérique permette de toucher beaucoup plus de personnes qu’avant. Il ne s’agit pas que de trois jours de rencontres, mais du travail de toute une année pour le réseau d’agences. Après l’épisode de Brest, qui était uniquement en distanciel, la formule mixte a été satisfaisante. Pour la Fnau, qui a pris en charge l’organisation de cette rencontre, cela impliquait la mise en place d’un site web, d’une application sur smartphone pour nous rejoindre, ou encore la possibilité de revoir les 14 ateliers en streaming. Ces nouveautés montrent la capacité des agences d’urbanisme à s’adapter au monde qui bouge, qui se transforme. Par ailleurs, elles nous font réfléchir à de nouvelles formes de diffusion et d’animation. La conversation à quatre sur un canapé nous semble un peu dépassée, il faut donc tenter d’expliquer de manière différente. À nos agences de s’adapter tout au long de l’année pour intéresser les élus, le grand public, nos partenaires, en posant les vraies questions et en cultivant l’envie de surprendre.
Propos recueillis par Rodolphe Casso
Photo : Jean Rottner © Christine Ledroit-Perrin