Patrice Vergriete : « Cohabiter rime avec le sentiment d’un destin commun »
Interview de Patrice Vergriete lors de la 42e Rencontre des agences d’urbanisme
Patrice Vergriete est président de la Communauté urbaine de Dunkerque, maire de Dunkerque et président délégué de la Fnau.
En tant que maire de la ville hôte de cette 42e Rencontre, quel bilan faites-vous de la manifestation ?
Patrice VERGRIETE : Le premier point du bilan est lié à la convivialité. La précédente édition, à Brest, avait dû se tenir en 100 % distanciel. Or, les agences d’urbanisme sont une grande famille ; cette rencontre avait donc des airs de retrouvailles, avec la présence de beaucoup d’élus. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu accueillir à Dunkerque cette manifestation. Il était question au départ qu’elle se tienne à Paris, mais c’eût été un peu dommage de ne pas se retrouver en province. D’autant plus que les visites de site sont toujours un moment important, pour les élus et les techniciens, qui rentrent ensuite chez eux plein d’idées. Montrer un territoire nourrit la créativité et l’innovation.
Que signifie « co-habiter » à Dunkerque ?
P.V. : C’est avant tout le vivre-ensemble, le respect au quotidien pour les gens qui vivent à nos côtés. Et c’est même, selon moi, la responsabilité la plus importante d’un maire. À Dunkerque, cohabiter rime avec le sentiment d’un destin commun pour tous ceux qui vivent près de nous, dans notre ville, dans notre quartier.
Nous avons d’ailleurs insisté pour pouvoir organiser une fête des voisins au mois de septembre – celle du mois de juin ayant été annulée. Le lien social de la proximité au quotidien, c’est l’aire de jeu, le projet de quartier, les actions de coproduction démocratique des projets. Mais il existe aussi un lien social à une échelle plus large, qui ne s’établit pas seulement avec les voisins mais avec ceux qui habitent dans une entité plus vaste, à l’échelle de la ville, voire de l’agglomération. Cette échelle est aussi très importante à nos yeux. Pour cela, le récit et l’imaginaire représentent de précieux outils. Cette notion renvoie aussi au droit à la mobilité. Quand nous avons instauré le bus gratuit à Dunkerque, un tiers des nouveaux voyages concernait des déplacements qui ne se faisaient pas auparavant. Cela représente donc du lien social en plus, avec notamment des jeunes qui se retrouvent davantage en centre-ville, ainsi qu’une augmentation de la pratique de la marche. Enfin, cette idée du lien social à échelle large s’appuie également sur les grands évènements et sur le sport de haut niveau, qui permettent de construire un récit à l’échelle d’une ville.
Pendant la rencontre, vous avez plusieurs fois évoqué la question du « sentiment d’appartenance ». Le carnaval de Dunkerque en est la parfaire illustration. Mais après l’annulation des éditions 2021 et 2022, craignez-vous que le lien s’étiole ? Que faire pour maintenir la cohésion ?
P.V. : Il est évident que la crise sanitaire a étiolé le lien social, aussi bien chez les jeunes que chez les plus âgés. Certaines personnes se sont enfermées chez elles et n’arrivent plus à en ressortir. Le carnaval est, en effet, l’évènement le plus emblématique du lien social à grande échelle, ici, à Dunkerque. Son annulation en 2021 a été globalement comprise et respectée par les habitants.
Mais rappelons qu’il y avait beaucoup de monde au Bain des Givrés, le 1er janvier 2022, qui est un prélude au carnaval, alors qu’il n’y avait personne à l’édition 2021 – nous étions alors sous couvre-feu. Nous sentons que la population n’a plus envie de sacrifier ce plaisir de partager des émotions collectivement. Les gens ne peuvent pas rester isolés trop longtemps : nous sommes des animaux sociaux et c’est l’ADN du territoire dunkerquois.
Au sujet de l’hospitalité proverbiale des gens du Nord, il y a la question dramatique des migrants dans la région, qui implique également une cohabitation. Comment envisagez-vous l’accueil des personnes venant de l’extérieur de votre territoire ?
P.V. : Nous partageons en effet le même espace avec des gens de passage. Ils ne sont pas forcément réfugiés ou demandeurs d’asile, car beaucoup ont pour objectif de se rendre en Angleterre. Ce n’est donc pas une migration de destination, mais de flux. Mon rôle de maire est de faire en sorte que les populations se respectent. Il y a parfois, comme ailleurs, des difficultés, des incompréhensions, des faits de délinquance de part et d’autre – ce n’est pas la société des Bisounours –, mais globalement, nous arrivons à cohabiter. Cependant, si nous avions affaire à une migration de destination, nous pourrions commencer à travailler sur une cohabitation plus longue, qui passe notamment par l’apprentissage de la langue française.
Or, dans notre cas, la cohabitation est éphémère.
Lors de la rencontre, l’étalement urbain s’est retrouvé sur le banc des accusés. Quelle est la position de la communauté urbaine de Dunkerque sur cette épineuse question de société ?
P.V. : L’un des points intéressants soulevés dans ce débat concerne la désociabilisation dont on a accusé l’étalement urbain. Elle n’est, en réalité, pas tant créée par la forme urbaine que par l’éloignement des fonctions qui y sont attachées. Dans des zones périurbaines exclusivement occupées par l’habitat, il n’y a pas assez d’accès à ce qui crée du lien social. Même s’il existe une forme de sociabilité avec le voisinage, ce qui est très bien, celle-ci a du mal à générer du lien à une échelle plus large.
La mono-fonctionnalité constitue donc une faiblesse, surtout lorsqu’un lotissement est trop éloigné pour être connecté à un réseau de transport.
Ce facteur frappe d’autant plus ceux qui n’ont pas accès à la mobilité automobile, comme les jeunes ou les personnes âgées. Alors l’éloignement devient l’isolement. Par ailleurs, il y a aussi les injonctions contradictoires que l’on constate depuis quarante ans. Je veux bien que l’on critique le périurbain, mais tous les systèmes de financement ont favorisé jusqu’à présent l’étalement. Nous étions jusque-là heureux de pouvoir donner des retraites à nos agriculteurs par la valorisation foncière de leurs terres transformées en logements, tout comme les ménages venus s’installer en périphérie à la faveur d’une taxe foncière plus avantageuse. On peut donc pousser aujourd’hui des cris d’orfraie, mais il faut bien admettre que le système a encouragé le périurbain depuis quarante ans. Il ne s’est pas fabriqué tout seul.
La question ne porte pas tant sur la fin du périurbain demain, mais plutôt sur ce qu’on peut en faire aujourd’hui. Comment réussir à faire de ces zones pavillonnaires des lieux qui retrouvent du lien social à une échelle plus large que celui du « barbecue »?
Grâce au numérique, il y a de nouveaux outils de mobilité à exploiter. Et il y a aussi des évènements à recréer… Dans tous les cas, il nous faut trouver des solutions pour ne pas laisser ces territoires-là dans l’éloignement et l’isolement.
Propos recueillis par Rodolphe Casso et Julien Meyrignac
Photo : Patrice Vergriete © Pierre Volot