Monique Eleb, itinéraire d’une sociologue passionnée

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Amoureuse de Casablanca, sa ville natale, et fascinée par l’influence des modes de vie sur l’habitat, la psychologue et sociologue Monique Eleb est morte le 26 mai.
En 2018, l’enseignante chercheuse s’était racontée avec chaleur à la rédaction d’Urbanisme, d
e son enfance marocaine à la direction d’un laboratoire de recherche en architecture. 

 

Où êtes-vous née ?

Monique Eleb/ Je suis née à Casa­blan­ca. Ma famille vivait en plein centre de la ville. J’ai été éle­vée sur un bou­le­vard qui tra­verse la ville du nord au sud. On y trouve la place admi­nis­tra­tive avec les jar­dins, des cafés, des res­tau­rants et ce qu’on appe­lait des « cré­me­ries », des cafés sans alcool. J’ai beau­coup joué dans ces rues. Tous les enfants des écoles se retrou­vaient après 17 heures dans la cour d’une sorte de caserne ouvrière.
Mes parents étaient d’origine modeste, mais j’étais très bonne élève à l’école et au lycée et j’avais des amis dans tous les milieux. J’ai donc visi­té autant des vil­las de luxe, modernes, que des HLM. J’étais fas­ci­née par les dif­fé­rences de modes de vie. Des choses inter­dites chez moi étaient pos­sibles ailleurs. Je m’intéressais aux décors, je feuille­tais des maga­zines de mai­son à la biblio­thèque amé­ri­caine. Casa­blan­ca est une des grandes villes modernes du XXe siècle. Sans que je m’en rende compte, cette ville m’a for­mée à l’architecture et à la sociologie.

Mes parents étaient coif­feurs à la mode : dans leur salon, j’ai tou­jours enten­du par­ler et vu des gens de toutes les classes sociales, euro­péens et maro­cains, y com­pris des prin­cesses. Nous vivions dans un immeuble moderne, à côté d’un ciné­ma. On voyait les films amé­ri­cains clan­des­ti­ne­ment : on s’allongeait sur le toit et on regar­dait les films à tra­vers un vasis­tas. Le ciné­ma m’a beau­coup for­mée : mon père était un fou de ciné­ma et on avait un pro­jec­teur à la mai­son. Bus­ter Kea­ton et Char­lie Cha­plin m’ont beau­coup appris sur les classes sociales.

Mes copines de classe appar­te­naient à des milieux plus aisés. Le lycée n’était pas pour tout le monde. J’avais quelques copines maro­caines dans ma classe. Je me range par­mi elles, puisque je suis née maro­caine, même si mon père était un fou de la Révo­lu­tion fran­çaise et de l’école de la Répu­blique. Il avait une grande ambi­tion intel­lec­tuelle. La plu­part de ses amis étaient peintres ou musi­ciens. Ses quatre enfants sont deve­nus des cher­cheurs. J’ai vécu à Casa­blan­ca jusqu’à 18 ans.

Une autre ville a joué un rôle dans ma vie, Vichy où mon père avait ache­té un salon, quand j’avais 7 ans. Même si nous étions juifs, Vichy était d’abord la ville où l’on allait soi­gner son foie. À Casa­blan­ca, les femmes ne se coif­faient pas beau­coup l’été. Mon père pas­sait quatre mois à Vichy, nous le rejoi­gnions pour l’été. J’ai décou­vert la France à tra­vers la petite bour­geoi­sie qui vivait dans les petites mai­sons des rues rési­den­tielles et s’étonnait de nous voir si dif­fé­rents : nous, nous venions d’une capi­tale et mon père avait une voi­ture américaine.

 

Au Maroc, les classes sociales se recou­paient-elles avec les communautés ?

Mon père était réfrac­taire à l’idée de com­mu­nau­té. Il était de gauche et il détes­tait le fait de ne fré­quen­ter que des gens de son milieu. Les com­mu­nau­tés étaient rela­ti­ve­ment sépa­rées, mais mes parents avaient des amis de tous les bords. J’ai été aus­si éle­vée par des « tantes » catho­liques, fran­çaises, par­fois colonialistes.

J’ai vécu l’exil et je reste une exilée.

La famille de mon père est arri­vée au Maroc au XVIIIe siècle ; celle de ma mère est une famille juive maro­caine, des Juifs pré­sents au Maroc avant les Arabes. Mes parents n’ont jamais vou­lu nous par­ler de la guerre. Ils ne vou­laient pas que nous ayons peur d’être juifs. Nous avons vécu entre plu­sieurs cultures, d’autant plus que mon père et ma mère n’avaient pas tout à fait la même, et nous sommes laïques.

Nous sommes par­tis en 1964. Mon père aurait aimé res­ter. Cela n’a pas été pos­sible. J’ai vécu l’exil et je reste une exilée.

 

Com­ment se sont pas­sées vos études supé­rieures en France ?

J’ai pas­sé mon bac à Vichy avant de par­tir à Paris, même si mes parents n’étaient pas d’accord. J’avais lu Freud à 13 ou 14 ans et je vou­lais deve­nir psy­cho­logue. J’ai été bour­sière, puis Mai 68 est arri­vé. Entre 1965 et 1969, j’étais en psy­cho-socio à la Sor­bonne, et j’ai eu des profs extra­or­di­naires : Gil­bert Simon­don (1924–1989), Georges Can­guil­hem (1904–1995), Jean Laplanche (1924–2012) et Claude Revault d’Allonnes avec qui j’ai fait ma thèse.

J’ai beau­coup aimé ce moment. Après la psy­cho plus ou moins scien­ti­fique, j’ai bifur­qué vers la psy­cho­lo­gie cli­nique. En 1968, a été créée, à Paris-VII, la spé­cia­li­té de sciences humaines cli­niques que j’ai choi­sie. En même temps, l’ethnologie me fas­ci­nait. Par­mi mes auteurs pré­fé­rés il y avait Freud mais aus­si Mar­cel Mauss (1872–1950). Ce cur­sus com­bi­nait phi­lo­so­phie, socio­lo­gie et psy­cho­lo­gie. C’est à ce moment que j’ai rejoint l’Union des étu­diants com­mu­nistes. J’avais été for­mée très tôt à la poli­tique. Quand j’avais 15 ans, mes copains maro­cains, plus âgés que moi, étaient tous à l’UEC. Je lisais des revues comme Clar­té. Ce que j’avais vu de la colo­ni­sa­tion m’écartait du gau­chisme. Seuls les com­mu­nistes défen­daient le peuple… (rires). Néan­moins, j’ai vécu Mai 68 dans la peur. Je ne me sen­tais pas légitime.

J’ai tou­jours eu une pas­sion pour l’analyse des modes de vie banals et pour la poli­tique, les classes sociales, le fémi­nisme, etc. Cela ne se voit pas tou­jours dans mes livres, sauf peut-être dans le der­nier : Ensemble et sépa­ré­ment. Je pen­sais qu’il fal­lait chan­ger les rôles féminins/masculins par­tout où l’on pou­vait, en com­men­çant par chez-soi. Nous avons tout fait, mes deux sœurs et moi, pour échap­per au des­tin des filles de notre milieu : se marier et avoir des enfants. On vou­lait l’autonomie, l’amour, cer­tai­ne­ment pas le des­tin banal des femmes qu’on voyait autour de nous. J’étais fémi­niste de cette manière-là et c’était une ques­tion politique.

 

Com­ment êtes-vous arri­vée à l’architecture et à l’habitat ?

Après Mai 68, j’ai vou­lu deve­nir psy­cha­na­lyste. J’étais en train de me for­mer quand une de mes pro­fes­seurs m’a pro­po­sé de tra­vailler à une biblio­gra­phie à l’Institut de l’environnement, sur les rap­ports entre sciences humaines et archi­tec­ture. Dans mon entou­rage, j’avais des archi­tectes, dont ma sœur Nicole, qui m’interrogeaient sur la psy­cho­lo­gie de la per­cep­tion, la Ges­talt-théo­rie. Le thème m’intéressait, j’ai accep­té. Dès mes débuts à l’Institut, j’ai décou­vert que la recherche me pas­sion­nait. C’était un lieu extra­or­di­naire. J’y suis res­tée sept ans.

Je me suis for­mée à l’architecture. J’ai été recru­tée en 1969, puis sont arri­vés Jean-Louis Cohen, Bru­no For­tier, David Ela­louf, Pierre Clé­ment qui, avec Jean-Paul Les­ter­lin, ont contri­bué à créer le Cor­da (Comi­té de la recherche et du déve­lop­pe­ment  en  archi­tec­ture).  Les ensei­gnants de l’Institut étaient en majo­ri­té com­mu­nistes et les étu­diants gau­chistes. Cela a fait quelques éclats. Les écoles d’architecture esti­maient que l’Institut pre­nait une trop grande par­tie de leur finan­ce­ment et de leur rôle. Après 1970, il s’est recen­tré sur la recherche archi­tec­tu­rale. Il y avait autant d’artistes, de plas­ti­ciens, de gra­phistes que d’architectes, d’urbanistes, de socio­logues, de géo­graphes, ou de mathé­ma­ti­ciens. C’était le début de l’informatique. La plu­part de ceux qui ont déve­lop­pé la recherche archi­tec­tu­rale étaient là. L’Institut était ouvert sur l’extérieur : Roland Barthes y est venu, Michel Fou­cault aus­si. Il a été, pour la réflexion sur l’architecture, la suite de Mai 68. Les étu­diants et les ensei­gnants aspi­raient à une théo­ri­sa­tion que ceux des Beaux-Arts n’avaient jamais eue. Ceux qui étaient là étaient hyper exigeants.

J’ai orga­ni­sé en 1972 un col­loque, puis des sémi­naires per­met­tant aux ensei­gnants de sciences humaines dans les UP de se ras­sem­bler par groupes de spé­cia­li­té ou en groupes ouverts. Cela a abou­ti à des réflexions écrites sur l’enseignement dans les écoles, sur la socio­lo­gie, la géo­gra­phie, la psy­cho­lo­gie, l’économie. Il régnait une effer­ves­cence incroyable : à ces ensei­gnants, on deman­dait d’inventer un ensei­gne­ment entre sciences humaines et archi­tec­ture. J’ai pris très vite posi­tion pour qu’on n’enseigne pas comme à la Sor­bonne. Il fal­lait apprendre l’architecture. Mes cours se nour­ris­saient de ce que j’apprenais en archi­tec­ture. Et je me suis vite orien­tée vers l’habitat.

J’ai fait ma thèse entre 1976 et 1980 sur l’identité et l’habitat à par­tir d’une enquête dans deux tours d’un grand ensemble à Bagno­let (Gal­lie­ni). Je m’interrogeais : pour­quoi les habi­tants trans­forment-ils les lieux qu’on leur pro­pose ? Qu’est-ce que cela signi­fie par rap­port à l’architecture ? Cela posait des ques­tions sur le mar­quage, l’appropriation, sur l’identité et la place dans la socié­té, etc., mais aus­si sur le rap­port à l’architecte et à ce qu’il repré­sen­tait, c’est-à-dire la loi. Je me suis vite posé une autre ques­tion : quelles repré­sen­ta­tions, de la famille notam­ment, les archi­tectes et les maîtres d’ouvrage ont-ils en tête quand ils pro­duisent du loge­ment ? Mon intui­tion était qu’ils ont des savoirs sociaux, mais construits de façon sou­vent peu repré­sen­ta­tive de la réa­li­té sociale. J’avais lu Le Cor­bu­sier et beau­coup d’auteurs de trai­tés, et je me suis replon­gée dedans avec pas­sion par la suite. Je n’étais pas la seule à me poser ces ques­tions. Paul-Hen­ry Chom­bart de Lauwe, la réfé­rence pour tous ceux qui s’intéressaient à la socio­lo­gie de l’habitat ou de l’urbanisme, avait ouvert la voie, et puis Hen­ri Lefebvre, bien sûr.

En 1982, j’ai pro­po­sé au Cor­da une recherche sur les repré­sen­ta­tions des archi­tectes. Ces tra­vaux ont abou­ti à la publi­ca­tion de Archi­tec­ture de la vie pri­vée, édi­té en deux tomes, dont j’écris le troi­sième. Je vou­lais com­prendre com­ment on en était arri­vé à la dis­tri­bu­tion actuelle des loge­ments. Comme je n’avais pas de réponses satis­fai­santes à mes ques­tions, peu de tra­vaux sur les­quels m’appuyer, je les ai menés moi-même. Je suis remon­tée jusqu’au XVIe siècle pour com­prendre le début des rup­tures. La pre­mière, presque une révo­lu­tion, est liée à l’intimité, à l’invention de l’appartement, la chambre et ses annexes, qui per­met la retraite. Aupa­ra­vant, tout le monde est sous le regard de tous et, sauf pour les nan­tis, il n’y a pas de grande dis­tinc­tion entre les pièces, pas de cou­loir. Les archi­tectes inventent des dis­po­si­tifs au XVIIe siècle, avant que les textes lit­té­raires ou phi­lo­so­phiques n’évoquent cette arri­vée de l’individu et de sa pro­tec­tion, et ils la rendent pos­sible. Dans les trai­tés, au fur et à mesure que les mœurs changent, que les rap­ports hommes/femmes,  parents/enfants,  maîtres/domestiques se trans­forment, on voit les lieux évo­luer. Je mon­trais que la struc­ture de la famille, l’évolution des mœurs et des sen­si­bi­li­tés avaient été mino­rées dans l’histoire de l’architecture, alors qu’on sur­es­time la ques­tion des maté­riaux et du cli­mat. Je me suis fait beau­coup d’ennemis.

 

 

J’ai pour­sui­vi par un tra­vail sur les mai­sons ouvrières que j’ai appe­lé « L’apprentissage du chez-soi ». C’était une recherche assez poli­tique sur la manière dont on condui­sait les popu­la­tions rurales arri­vées dans les villes vers une nor­ma­li­sa­tion des pra­tiques par l’habitat. J’ai pro­po­sé la notion de dis­po­si­tif spa­tial qui a eu beau­coup de suc­cès : com­ment les élé­ments spa­tiaux s’organisent pour pro­vo­quer des effets sur les conduites et les sou­te­nir. J’avais repris l’idée du « dis­po­si­tif » chez Freud, comme Fou­cault a dû le faire.

Ce tra­vail m’a beau­coup appris sur les classes sociales, mais aus­si sur la construc­tion d’un type de « loge­ment ouvrier ». Auguste Labus­sière (1863–1956), archi­tecte du Groupe des Mai­sons Ouvrières, a diri­gé avec d’autres le pre­mier Office de la ville de Paris. Beau­coup de l’habitat des années 1920 porte sa marque : briques rouges, struc­ture en béton, fenêtres, orne­ments de céra­mique bleue, etc. Il a créé un « type » d’immeubles construits autour d’une très grande cour, qui était le contre-modèle du Fami­lis­tère de Guise. Les habi­tants devaient avoir peu de voi­sins. Der­rière, il y avait l’apprentissage de la pro­pre­té et de l’hygiène, l’un de mes dadas : au xxe siècle, la cui­sine et la salle de bains sont les deux pièces cen­trales, liées à des normes et à des valeurs construites, qui ont chan­gé toute la struc­ture de l’habitat.

J’ai pas­sé ma vie à étu­dier ce rap­port entre socié­té, indi­vi­du et pen­sée archi­tec­tu­rale, à ten­ter de com­prendre com­ment la concep­tion des modes de vie des archi­tectes et de la chaîne des spé­cia­listes de la construc­tion abou­tit à conce­voir l’habitat, c’est-à-dire 80 % de l’urbanisme des villes. À chaque recherche, je me demande ce que les archi­tectes et les maîtres d’ouvrage savent de la socié­té et com­ment ils le tra­duisent. En ce moment, par exemple, ils abordent les ques­tions de mutua­li­sa­tion, de nou­veau rap­port au tra­vail, de rap­port à la nature, avec la végé­ta­li­sa­tion. Ils sont en train de prendre en compte les chan­ge­ments de struc­ture de la famille, la coha­bi­ta­tion, dont ils n’avaient pas tenu compte alors que c’est un mou­ve­ment très fort sur lequel j’ai écrit dès 1987. Les archi­tectes sont très liés à la com­mande ; même s’ils ont des idées inno­vantes, la com­mande empêche sou­vent de les mettre en place.

 

Vous avez beau­coup œuvré pour intro­duire la recherche architecturale.

Oui, j’ai par­ti­ci­pé à d’innombrables réunions sur la recherche, mili­té pour le doc­to­rat et le sta­tut des ensei­gnants… J’ai été jeune cher­cheuse pen­dant sept ans à l’Institut de l’environnement, mais j’ai ensei­gné avant de le quit­ter pour rejoindre UP1. J’ai ado­ré ensei­gner car, au fond, j’enseignais mes recherches, j’ai eu beau­coup de chance. Au début, j’avais cent cin­quante étu­diants, dont une bonne moi­tié avait plus de 40 ans. J’étais une timide qui s’est soi­gnée. Mon cours por­tait sur la psy­cho­lo­gie de la per­cep­tion et de l’espace, puis il s’est orien­té vers l’habitat et j’ai com­men­cé à tra­vailler avec des groupes d’architectes, notam­ment de l’AUA, Jean Deroche, Jean Tribel…

En 1984, nous avons créé avec mes col­lègues de l’École de Ver­sailles et d’ailleurs un ensei­gne­ment post-diplôme, qui a ren­con­tré beau­coup de suc­cès. J’avais pro­po­sé de créer un ensei­gne­ment inter-écoles sur l’architecture domes­tique, ce qui était nou­veau, et qui est deve­nu un CEA (cer­ti­fi­cat d’études appro­fon­dies). J’ai pu tes­ter mes hypo­thèses de recherche avec Jean Cas­tex, avec des spé­cia­listes de l’habitat, comme Claude Pre­lo­ren­zo et d’autres.

Peu à peu, est venue l’idée de créer un doc­to­rat. Avec Jean-Louis Cohen, nous étions outrés qu’il n’y ait pas de doc­to­rat en archi­tec­ture en France, alors qu’il existe en Alle­magne depuis le début du XXe siècle. Ce que nous fai­sions en post-diplôme (il y en avait trois à Paris) pou­vait, à notre avis, se trans­for­mer en doc­to­rat. Nous avons été habi­li­tés par le minis­tère de la Recherche mal­gré les réti­cences de cer­tains au minis­tère de la Culture. On s’est asso­cié avec l’Institut fran­çais d’urbanisme et on a créé un DEA autour de trois axes : l’architecture domes­tique avec Cas­tex, Pre­lo­ren­zo, moi-même et d’autres ; la ville et l’urbanisme avec Jean-Louis Cohen, Yan­nis Tsio­mis et Phi­lippe Pane­rai, et la ville orien­tale avec Pierre Clé­ment, Pierre Pinon et d’autres.
Nous avons eu des étu­diants du monde entier, à part des Anglais. J’ai été codi­rec­trice du DEA de 1991 jusqu’en 2005, date où le LMD (licence-mas­ter-doc­to­rat) est arri­vé et où le DEA a été arrê­té, ce que je regrette car la for­ma­tion était très effi­cace dans un milieu peu habi­tué à la recherche.

Le chan­ge­ment a été pour beau­coup extra­or­di­naire : ils rece­vaient un ensei­gne­ment très construit et très métho­do­lo­gique. Cer­tains nous disent aujourd’hui qu’ils ont appris à construire une pen­sée théo­rique. Une cen­taine de doc­teurs qui ont sui­vi cette for­ma­tion enseignent dans toutes les écoles de France. Cer­tains sont res­tés dans la ligne clas­sique des mono­gra­phies d’architecte ; d’autres se sont, par exemple, inter­ro­gés sur les rap­ports entre concep­tion, théo­rie et archi­tec­ture, poli­tique, ou sur des points par­ti­cu­liers de l’architecture domestique.

Presque en même temps que le doc­to­rat, nous avons créé le labo­ra­toire ACS (Archi­tec­ture, culture et socié­té) à Paris-Vil­le­min, puis à Mala­quais. J’en étais la direc­trice, et Jean-Louis Cohen, le sous-direc­teur. Ces deux ins­tances ont été très impor­tantes dans ma vie. C’était pas­sion­nant. On avait fixé le doc­to­rat à Bel­le­ville où régnait une ouver­ture d’esprit pro­pice à la recherche qui n’était pas sou­te­nue de la même manière dans d’autres écoles d’architecture.

J’ai beau­coup voya­gé, j’ai vécu à l’étranger : nulle part ailleurs, l’architecture ne se situe en dehors de l’université. Et per­sonne ne remet en ques­tion l’apport des pro­fes­sion­nels ni les diplômes. On nous a repro­ché de déva­lo­ri­ser le DPLG. Cela n’a rien à voir ; ce sont deux démarches parallèles.

Ailleurs, les archi­tectes sont tenus de théo­ri­ser leur pra­tique pour deve­nir pro­fes­seurs. Ils doivent écrire. C’est comme cela dans le monde entier. Pour­quoi serions-nous dif­fé­rents ? De plus, on ne devrait pas ensei­gner l’architecture sans être struc­tu­ré au plan théo­rique. On reste encore mar­qué par l’École des beaux-arts.

 

Com­ment vous êtes-vous inté­res­sée aux cafés ?

À par­tir de 1989, Jean-Louis et moi avons été invi­tés à Los Angeles par le Get­ty Cen­ter, un lieu extra­or­di­naire. On tra­vaillait sur des livres qu’on ne trou­vait nulle part ailleurs. Nous explo­rions la ville. Je me suis ren­du compte que les malls étaient en perte de vitesse et qu’on com­men­çait à mar­cher à Los Angeles. Les sté­réo­types sur la ville me parais­saient faux. Une urba­ni­té nais­sait. J’ai com­men­cé à écrire des notules ou de petits récits sur ce que j’observais, sur les trot­toirs de Los Angeles, sur les cafés, sur les librai­ries et sur la trans­for­ma­tion de la 3e rue de San­ta Moni­ca et de Pasa­de­na. Les rues réno­vées s’appelaient pro­me­nade, en fran­çais, ou paseo, en espa­gnol, et on avait fait sor­tir les bou­tiques des malls. Depuis l’Institut de l’environnement, j’avais un ami, Jean-Charles Depaule, socio­logue  comme  moi,  pro­fes­seur  à Ver­sailles, et nous nous inté­res­sions aux cafés.

 

Norms Res­tau­rant and Café, La Cie­ne­ga Bou­le­vard, Los Angeles
(1957, arch.
Armet & Davis/Helen Fong)
© Hun­ter Kerhart/Los Angeles Conservancy

 

Quand on a com­men­cé nos études avant 68, des thèmes étaient illé­gi­times : le café en était un. Notre géné­ra­tion vou­lait cas­ser les fron­tières entre les dif­fé­rentes sciences humaines et esti­mait, à la suite de Roland Barthes, que j’aime beau­coup, que les rituels et les pra­tiques de la vie quo­ti­dienne peuvent se théoriser.

Après celui sur Los Angeles, Depaule et moi avons fait un livre sur les cafés à Paris. On s’est inté­res­sé à des ter­ri­toires, par exemple celui autour du Luxem­bourg, de la rue Gay-Lus­sac à l’Odéon. Il y avait une dyna­mique entre les cafés, les popu­la­tions n’étaient pas les mêmes selon le temps de la jour­née et aujourd’hui on y tra­vaille beau­coup. Nous avons étu­dié com­ment le café fait la ville. C’est un troi­sième lieu entre la mai­son et le tra­vail, très impor­tant aus­si pour les femmes. Une mixi­té se met en place et la ville devient un lieu qu’on arpente autre­ment. Nous avons eu la chance d’arriver au moment où le modèle du café pari­sien se renou­ve­lait : on voyait appa­raître des cafés-gale­ries, des cafés-librai­ries, de nou­veaux cafés voyaient le jour, les jeunes y reve­naient. Une ville comme Paris ne serait pas ce qu’elle est sans ses cafés.

 

Casa­blan­ca occupe, évi­dem­ment, une place à part dans vos travaux.

Au départ, je vou­lais mon­trer la ville à Jean-Louis Cohen et à mes filles. Je savais depuis l’enfance que Casa­blan­ca était une ville moderne. La pre­mière fois que je suis venue en France au début des années 1950, je trou­vais que tout était vieux, noir, sale, triste. De son côté, Jean-Louis savait que les urba­nistes avaient beau­coup écrit sur cette ville créée par des Fran­çais après 1912. L’Art nou­veau, l’Art déco, le Mou­ve­ment moderne, les débats entre cor­bu­séens et autres modernes, le décor, la haine du décor : toutes ces ten­sions étaient mises en scène à Casa­blan­ca. On a déci­dé de tra­vailler sur cette ville par pas­sion, sans budget.

Nous avions trou­vé un cata­logue, Le Maroc en 1932, avec des pho­tos des bâti­ments et des pro­prié­taires et une pré­sen­ta­tion des construc­teurs. Il nous a ser­vi de base pour notre étude qui a duré douze ans et a abou­ti à trois livres. Nous avons plon­gé dans les archives de la ville, alors dans un état catas­tro­phique. Nous avons vou­lu com­prendre ce qui s’était pas­sé sur le plan poli­tique, puis clas­ser les immeubles par pro­prié­taire, par date, par théo­rie, com­prendre les valeurs et les arts de vivre des Casa­blan­cais. Nous avons tra­vaillé sur plans et pas­sé au crible les immeubles de la Ville nou­velle. Nous avons com­pris aus­si que des agences avaient joué un rôle déter­mi­nant et que, contrai­re­ment à ce que disait le pro­tec­to­rat, Casa­blan­ca n’était pas une ville fran­çaise mais une ville mélan­gée. Ses immeubles ont été construits par des maçons maro­cains, les arti­sans avaient inven­té un art nou­veau avec les archi­tectes de nom­breux pays d’Europe. En même temps, le règle­ment de la ville était celui de la Ville de Paris, des immeubles avec sou­bas­se­ment, trois étages car­rés et cou­ron­ne­ment, mais avec une touche maro­caine. Casa­blan­ca était une ville détes­tée au Maroc : on disait qu’elle n’avait pas d’histoire. Même les Casa­blan­cais voyaient leur ville comme quelque chose de raté. Nous avons ten­té de mon­trer qu’il n’en était rien.

 

Qu’est-ce qui fait que Casa­blan­ca concentre les carac­té­ris­tiques d’un modèle urbain moderne ?

Lyau­tey avait déci­dé très vite après 1912, début du Pro­tec­to­rat, que le port se ferait là et cela a atti­ré des foules. Des Maro­cains avaient des ter­rains et une spé­cu­la­tion folle a com­men­cé. Là-des­sus, sont arri­vés des archi­tectes et, avec eux ou sur place, des clients avides de mon­trer leur moder­ni­té. La spé­cu­la­tion fai­sait que des ter­rains s’achetaient le matin et se reven­daient le soir en ayant tri­plé de valeur. Les immeubles étaient des totems dans la ville. Tout le monde vou­lait l’immeuble le plus haut et le plus beau, la plus belle vil­la – quand je dis tout le monde, évi­dem­ment je parle des classes pri­vi­lé­giées. Le suc­cès a été phé­no­mé­nal, c’est deve­nu un des plus grands ports d’Afrique.

Cela a atti­ré énor­mé­ment de capi­taux. Il y avait la volon­té d’en faire la ville phare, de construire une ville moderne, pour les ins­ti­tu­tions, pour Lyau­tey, pour ceux qui lui ont suc­cé­dé et pour les entre­pre­neurs en tous genres et de toutes ori­gines. Sur­tout, les archi­tectes, les urba­nistes vou­laient faire modèle. Tous, dont Prost et Éco­chard, ont été très actifs et ont expé­ri­men­té sur de nom­breux domaines. Les admi­nis­tra­tions, les minis­tères du Loge­ment suc­ces­sifs per­met­taient aus­si cette réflexion sur l’innovation. Il y avait donc des com­man­di­taires éclai­rés et de bons archi­tectes. Tout a été explo­ré à Casa­blan­ca avant 1956, y com­pris des immeubles mixtes, avec des com­merces, des bureaux et des loge­ments, par­fois flexibles, etc. Il y a eu beau­coup d’innovation, beau­coup de choses qu’on juge for­mi­dables aujourd’hui : les mai­sons sur les toits, les garages sous les immeubles dès les années 1930.

Les com­man­di­taires étaient épris de moder­ni­té. On pou­vait réa­li­ser ce qui était impos­sible à Paris. Il y avait de l’argent, des terres, de grands îlots et une poli­tique rela­ti­ve­ment éclai­rée. Le per­mis de construire et le remem­bre­ment ont été tes­tés à Casa­blan­ca. Ce que met en place Prost pour tra­cer la plus grande voie dans la ville est un modèle repro­duit dans tous les trai­tés d’urbanisme. Casa­blan­ca a donc été un labo­ra­toire. Mais, par ailleurs, il ne faut pas oublier que la situa­tion était colo­niale et on a trou­vé des textes idéo­lo­giques ter­ribles – com­man­di­tés par Lyau­tey – sur le fait que les colo­nies, notam­ment l’Afrique du Nord, devaient être utiles et ser­vir à revi­vi­fier la France.

Notre tra­vail a abou­ti à des expo­si­tions et un livre édi­té en 1998 (Casa­blan­ca : Mythes et figures d’une aven­ture urbaine, Hazan), réédi­té quatre ou cinq fois et tra­duit en anglais. Nous avons éga­le­ment écrit un guide sur Casa­blan­ca dans la col­lec­tion « Por­trait de ville », de l’IFA, et un autre livre sur les quar­tiers d’aujourd’hui, Les Mille et une villes de Casa­blan­ca. Le pre­mier livre a eu beau­coup d’impact, car il a per­mis à cer­tains de retrou­ver la fier­té d’être de Casa­blan­ca. Aujourd’hui, vous trou­vez par­tout dans les lieux publics des pho­tos de Casa­blan­ca alors que c’était la ville la plus détes­tée après le départ des Fran­çais. Nous avons créé une asso­cia­tion avec des Casa­blan­cais, Casa­mé­moire, qui s’occupe de mon­ter le dos­sier de clas­se­ment à l’Unesco. Notre ouvrage a per­mis de faire clas­ser une cen­taine de bâti­ments, et puis à faire com­prendre que cer­tains quar­tiers aban­don­nés avaient une vraie valeur, mais mal­heu­reu­se­ment les poli­tiques, les édiles, ont d’autres buts que le patrimoine !

 

Casa­blan­ca, bou­le­vard Moham­med V, immeuble El Glaoui (arch. Marius Boyer), construit entre 1922 et 1927 © Ber­trand Rieger

 

Au début du Pro­tec­to­rat, les indus­triels, n’arrivant pas à gar­der leurs ouvriers, ont déci­dé de faire des cités ouvrières car à chaque fois qu’il y avait une bonne récolte en pers­pec­tive, ces anciens ruraux repar­taient chez eux.

Trois archi­tectes, Albert Laprade (1883–1978), Edmond Brion (1885–1973) et Auguste Cadet (1881–1956) notam­ment, très admi­ra­tifs de la culture archi­tec­tu­rale maro­caine, ont fait des pas­tiches de villes maro­caines. Les archi­tectes et les urba­nistes vou­laient créer des nou­veaux quar­tiers entiè­re­ment équi­pés, avec les condi­tions d’une vie quo­ti­dienne qui devait conve­nir aux Maro­cains. C’était de l’habitat adap­té. Si on regarde les choses aujourd’hui, c’est très réus­si ! Il y avait le mar­ché, le ham­mam, la mos­quée, les écoles, les dis­pen­saires, les équi­pe­ments de police, les mai­ries locales : ce sont vrai­ment des villes. J’ai cher­ché d’où venaient ces idées. Je suis tom­bée sur le concept de l’unité de voi­si­nage déve­lop­pé par Cla­rence Per­ry (1872–1944). Il y a une conti­nui­té entre « l’unité de voi­si­nage » de Per­ry des années 1920 et « l’unité vici­nale » d’Écochard des années 1950. On voit com­ment ils réflé­chissent sur la façon de créer des quar­tiers, qu’ils appellent des vil­lages, afin qu’ils deviennent des mor­ceaux de ville auto­nomes. Quand je suis reve­nue en 1969, puis en 1986, le centre-ville n’avait pas chan­gé même s’il y avait déjà tous les bâti­ments illé­gaux qui l’entouraient. Le rebond a eu lieu au début des années 1990 : on a recom­men­cé à construire le plus sou­vent dans un style post­mo­derne, mais ça va mieux. Une immense par­tie de la ville est comme une cou­ronne consti­tuée de petites mai­sons de la « trame Éco­chard » (8 m x 8 m), sur­éle­vées avec deux à quatre étages, avec un encor­bel­le­ment au 1er étage. C’est très pré­caire, des mai­sons s’écroulent tous les hivers.

Je reste néan­moins admi­ra­tive du tra­vail de cer­tains archi­tectes qui ont construit pour les classes popu­laires des choses magni­fiques, Georges Can­di­lis (1913–1995) tout d’abord, avec ses trois immeubles célèbres pré­sen­tés au CIAM de 1953 qui a mis en crise la vision uni­ver­sa­liste de l’habitat des cor­bu­séens. C’est Michel Éco­chard (1905–1985), direc­teur de l’urbanisme après-guerre, qui avait vou­lu construire des grands immeubles où les Maro­cains accep­te­raient d’habiter. Le pas­sage de la mai­son à l’immeuble a été mal vécu. Ces immeubles ont été les lieux où vivaient les plus viru­lents des indé­pen­dan­tistes qui ont com­men­cé là à déve­lop­per une conscience forte de leur sta­tut de colo­ni­sés. Pour­tant, aujourd’hui, aucun des grands ensembles n’est en dif­fi­cul­té. Cer­tains sont même magni­fiques, avec des jar­dins et des arbres, et ont été inté­grés dans la ville, avec des appar­te­ments bien conçus, très appré­ciés des classes moyennes.

Bien après le départ d’Écochard, Élie Aza­gu­ry (1918–2009) a joué un rôle très impor­tant en construi­sant un quar­tier entier qui a été un modèle pour tout l’habitat de loi­sirs. Port Leu­cate, de Can­di­lis, s’inspire de l’habitat pour les Maro­cains pauvres d’Élie Aza­gu­ry de 1959.

Casa­blan­ca appa­raît mons­trueuse, sans comp­ter que le nombre de voi­tures a été mul­ti­plié. Il reste des immeubles incroyables de moder­ni­té avec appar­te­ments à ter­rasses, qui relèvent d’une sorte d’hédonisme de l’architecture, mais tout le monde n’y a pas droit, même s’ils sont dans le centre déva­lo­ri­sé. Aujourd’hui, les auto­ri­tés construisent énor­mé­ment de loge­ments pour les classes popu­laires aux portes de la ville, sans aucun équi­pe­ment, au nom de l’urgence, alors qu’elles avaient les modèles les plus réus­sis sur place.

 

Pen­dant toutes ces années, l’habitat est res­té votre champ de recherche privilégié.

J’ai fait de nom­breux bilans sur l’architecture contem­po­raine pour le Plan construc­tion et cela répon­dait à mes ques­tions de tou­jours. Il y a eu aus­si Pen­ser l’habité, l’analyse du concours PAN 14 sur les modes de vie. Les archi­tectes de cette époque-là avaient ima­gi­né ce à quoi on est confron­té aujourd’hui : la trans­for­ma­tion de la struc­ture de la famille, la coha­bi­ta­tion, la flexi­bi­li­té, la trans­for­ma­tion du tra­vail. Tous les thèmes actuels appa­rais­saient dans ce concours. Ils com­pre­naient com­ment la socié­té allait évo­luer, mais ils n’ont pas pu construire ce qu’ils croyaient être l’avenir… J’ai fait éga­le­ment un bilan inti­tu­lé « Urba­ni­té, socia­bi­li­té, inti­mi­té », avec Anne-Marie Châ­te­let, et un autre, « Entre confort, désir et normes », sur la période contem­po­raine, avec Phi­lippe Simon. Enfin, avec Sabri Ben­di­mé­rad, « Ensemble et sépa­ré­ment », une expres­sion pro­po­sée par une jeune équipe d’architectes du PAN 14. Depuis 1987, j’observe de près ces ques­tions de coha­bi­ta­tion : on a lais­sé les gens se débrouiller dans des appar­te­ments exis­tants, alors qu’ils inven­taient d’autres com­por­te­ments. Il y a eu depuis une loi, en 2009, per­met­tant aux HLM de pro­po­ser le par­tage d’un appar­te­ment qui a abou­ti à des construc­tions. Mul­house Habi­tat, en 2003, a réa­li­sé le pre­mier immeuble social pen­sé pour faire vivre ensemble trois géné­ra­tions. Désor­mais, c’est un phé­no­mène mon­dial. Dans ce livre, nous avons ana­ly­sé ce qui se pas­sait au Japon, aux États-Unis, au Cana­da, en Suède ou en Suisse.

La ques­tion du don et contre-don est fon­da­men­tale dans la cohabitation.

On a pas­sé beau­coup de temps à tra­vailler sur l’expérience des Babaya­gas à Mon­treuil, un groupe de femmes âgées qui veulent vivre ensemble tout en per­met­tant au quar­tier de pro­fi­ter de leurs acti­vi­tés et de leurs expé­riences, en créant aus­si une « Uni­ver­si­té des savoirs des vieux », mot uti­li­sé pour ne pas res­ter dans le poli­ti­que­ment cor­rect. Elles vou­laient que leur immeuble soit « du loge­ment social ». Il repo­sait sur la coop­ta­tion, ce qui a posé des pro­blèmes. On leur a impo­sé de la mixi­té avec quatre jeunes qui débu­taient dans la vie, avec des reve­nus assez bas. Beau­coup de conflits sont nés dans l’association pour des rai­sons poli­tiques et de ges­tion. Nous avons beau­coup appris de cette expé­rience. On a ren­con­tré la ques­tion de la règle, du règle­ment : dans un de ses sémi­naires deve­nu un livre, Com­ment vivre ensemble, Barthes traite de ces thèmes à pro­pos des com­mu­nau­tés religieuses.

La ques­tion du don et contre-don est fon­da­men­tale dans la coha­bi­ta­tion. Celle des rites de pas­sage aus­si, pour les jeunes aujourd’hui. Mais cer­tains n’arrivent plus à en sor­tir. Il y a des qua­ran­te­naires qui vivent en coha­bi­ta­tion par peur du couple, de deve­nir des parents… Dans notre socié­té, la ques­tion de la coha­bi­ta­tion à tous les âges se pose avec acui­té et l’architecture ne suit pas.

Et j’ai mili­té, pas tou­jours avec suc­cès, pen­dant les huit ans de tra­vail sur le Grand Paris avec l’agence MVRDV, pour faire accep­ter que le loge­ment fait la ville.

 

Quelles sont vos villes préférées ?

J’adore Palerme pour le creu­set cultu­rel qu’elle a repré­sen­té, le mélange de civi­li­sa­tions, le raf­fi­ne­ment de cha­cune qui a lais­sé des traces tant dans l’architecture que dans la cui­sine. C’est un enchan­te­ment. La ville a le même cli­mat que le Casa­blan­ca de mon enfance. La com­plexi­té de cette ville me fas­cine. Je trouve New York atten­dris­sante par son côté XIXe siècle. Ce sont des gratte-ciel extrê­me­ment aimables au sol. Et puis, c’est une ville bat­tue par l’eau, il y a la mer, les ponts. Los Angeles est sur le même paral­lèle que Casa­blan­ca, et ses plantes ont les mêmes odeurs que celles de mon enfance qui ont dis­pa­ru. Son archi­tec­ture moderne (Schind­ler, Neu­tra) m’a fas­ci­née. C’est une ville détes­tée comme Casa­blan­ca. Une ville en bord de mer, avec des intel­lec­tuels et des artistes, c’est ce que j’aime le plus.

Je suis deve­nue amou­reuse de l’architecture, j’ai appris à la lire, ça ajoute au plai­sir. J’aime beau­coup me bala­der dans des villes que je ne connais pas. Les villes que j’aime mêlent tou­jours des archi­tec­tures et de modes de vie différents.

Antoine Lou­bière et Jean-Michel Mestres

 

Pho­to : Monique Eleb. © Bru­no Comtesse

 

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Depuis 1932, Urba­nisme est le creu­set d’une réflexion per­ma­nente et de dis­cus­sions fécondes sur les enjeux sociaux, cultu­rels, ter­ri­to­riaux de la pro­duc­tion urbaine. La revue a tra­ver­sé les époques en réaf­fir­mant constam­ment l’originalité de sa ligne édi­to­riale et la qua­li­té de ses conte­nus, par le dia­logue entre cher­cheurs, opé­ra­teurs et déci­deurs, avec des regards pluriels.


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