Philippe Meunier : « La préservation de la Méditerranée nous oblige »

Philippe Meunier
Entretien avec Philippe Meunier, ambassadeur, directeur général de l’Agence des villes et territoires méditerranéens durables (Avitem).

 

Quelle est votre per­cep­tion des évo­lu­tions du bas­sin médi­ter­ra­néen où les situa­tions conflic­tuelles semblent l’emporter sur les dyna­miques de coopération ? 

Phi­lippe Meu­nier/ Dans sa longue his­toire, la Médi­ter­ra­née a rare­ment tra­ver­sé des périodes très pai­sibles. Mal­heu­reu­se­ment, les vingt pre­mières années du XXIe siècle ont connu de ter­ribles drames, mal­gré quelques dyna­miques posi­tives. Tout l’enjeu actuel est celui de la rési­lience face à ces tra­gé­dies humaines.

À ces mal­heurs s’ajoutent de nou­velles insé­cu­ri­tés. L’arc de crise du cli­mat passe depuis long­temps en Médi­ter­ra­née et plus seule­ment par sa rive sud. En outre, il est impé­ra­tif de pro­té­ger sa bio­di­ver­si­té mais éga­le­ment son patri­moine cultu­rel et his­to­rique, notam­ment urbain. Les défis de san­té publique aus­si sont immenses. De mon point de vue, c’est une erreur de pen­ser que la pan­dé­mie du Covid-19 est une parenthèse.

La pré­ser­va­tion de la Médi­ter­ra­née nous oblige. « Il n’est pas ques­tion seule­ment d’histoire ou de tra­di­tions, de géo­gra­phie ou de racines, de mémoire ou de croyances : la Médi­ter­ra­née est aus­si un des­tin », sou­li­gnait déjà l’écrivain croate Pre­drag Mat­ve­je­vitch dans son Bré­viaire médi­ter­ra­néen.

 

Dans ce contexte dif­fi­cile, com­ment s’organise l’intervention de l’Avitem ?

Phi­lippe Meu­nier/ L’Avitem a l’avantage de l’agilité, en tra­vaillant avec les villes et les ter­ri­toires. Or les thé­ma­tiques du déve­lop­pe­ment durable trou­ve­ront leur syn­thèse sur les ter­ri­toires. J’ai par­ti­ci­pé à plu­sieurs confé­rences inter­na­tio­nales sur le cli­mat ; celle de Paris, la COP21, a été une réus­site. Ce qu’on appelle l’agenda des solu­tions se déploie main­te­nant dans et par les col­lec­ti­vi­tés territoriales.

Pour appuyer la pour­suite des négo­cia­tions inter­na­tio­nales, le plus impor­tant consiste dans les avan­cées sur le ter­rain. Nous nous ins­cri­vons dans cette dyna­mique d’appui aux poli­tiques publiques. Nous pro­po­sons des for­ma­tions aux élus, aux fonc­tion­naires ter­ri­to­riaux, et nous nouons des par­te­na­riats avec toute une gamme d’acteurs locaux.

Au-delà des poli­tiques publiques, il ne faut pas oublier de ques­tion­ner les com­por­te­ments, indi­vi­duels et col­lec­tifs. Com­ment chan­ger cer­tains com­por­te­ments, ceux des habi­tants de la Médi­ter­ra­née, mais aus­si de tous ceux qui opèrent dans cette région, les tou­ristes notamment ?

Il nous faut aus­si élar­gir notre approche géo­gra­phique : la Médi­ter­ra­née a plu­sieurs rives et consti­tue un ensemble. Notre valeur ajou­tée est de créer un réseau le plus médi­ter­ra­néen pos­sible car les défis sont par­tout simi­laires. Plus on tra­vaille ensemble, plus on échange sur les bonnes pra­tiques et les inno­va­tions, plus nous serons efficaces.

 

Les coopé­ra­tions entre rives nord et sud de la Médi­ter­ra­née s’inscrivent le plus sou­vent dans des démarches euro­péennes. Com­ment l’Avitem prend-elle en compte cette dimension ? 

Phi­lippe Meu­nier/ Nous le fai­sons en par­ti­ci­pant à des pro­jets de l’Union euro­péenne, qui reposent sur des par­te­na­riats avec des villes, des régions et des uni­ver­si­tés euro­péennes et d’autres acteurs. Nous sommes un bras opé­ra­tion­nel de ces pro­jets. Cer­tains sont internes à l’UE comme le pro­gramme Marit­ti­mo, mais d’autres appuient direc­te­ment les pays du sud de la Médi­ter­ra­née. L’enjeu est aus­si d’attirer des pays euro­péens non médi­ter­ra­néens sur des thé­ma­tiques méditerranéennes.

N’oublions pas les pays de la rive orien­tale de l’Adriatique. La poli­tique fran­çaise a tou­jours été active dans cette région. L’Avitem s’est déjà enga­gée en Alba­nie. La dimen­sion médi­ter­ra­néenne est très impor­tante à prendre à compte par l’Union euro­péenne, y com­pris parce que les grandes puis­sances s’y inté­ressent. C’est un espace essen­tiel pour le tou­risme, le tra­fic mari­time, les voies de cir­cu­la­tion en Europe, notre coopé­ra­tion avec le conti­nent afri­cain, notre rela­tion avec le Moyen-Orient.

 

Vous avez exer­cé des fonc­tions d’ambassadeur pour les ques­tions de san­té mon­diale, qu’est-ce que la pan­dé­mie actuelle peut chan­ger dans le bas­sin méditerranéen ? 

Phi­lippe Meu­nier/ La Médi­ter­ra­née a connu bien des épi­dé­mies. À Mar­seille, on n’oublie pas la peste de 1720. Nous consta­tons depuis plu­sieurs années que la mon­dia­li­sa­tion contri­bue à une nou­velle dyna­mique des épi­dé­mies. Affron­ter ces fléaux a tou­jours été plus dif­fi­cile dans des sys­tèmes urbains et métro­po­li­tains. Il faut être atten­tif aux popu­la­tions fra­giles, aux dis­cri­mi­na­tions, aux pays pauvres, construire des sys­tèmes de san­té solides.

Après le virus du Covid-19, il y aura d’autres épi­dé­mies. De ce point de vue, il y a une néces­si­té de repen­ser la ville et les ter­ri­toires en ayant à l’esprit ce défi de pré­ven­tion et de san­té publique face aux mala­dies trans­mis­sibles. Posons-nous la ques­tion de la réponse urba­nis­tique à appor­ter. Il faut réflé­chir à la manière dont la ville de demain peut-être plus rési­liente. Dans ce domaine aus­si, com­ment gérer une tran­si­tion juste ? Nous com­men­çons à y tra­vailler, par exemple actuel­le­ment avec l’Assistance publique-Hôpi­taux de Mar­seille dans le cadre d’un pro­gramme européen.

 

Com­ment confor­ter la démarche de l’Avitem ?

Phi­lippe Meu­nier/ L’Avitem est là pour accom­pa­gner des démarches de décen­tra­li­sa­tion, de décon­cen­tra­tion, de démo­cra­ti­sa­tion, qui sont déter­mi­nantes pour une gou­ver­nance plus inclu­sive et pour plus d’efficacité. Car les ter­ri­toires sont en pre­mière ligne en cas de crise, dans une arti­cu­la­tion avec les autres niveaux (natio­naux, voire euro­péen) et avec la socié­té civile. Ils sont le niveau opé­ra­tion­nel. Les acquis de la coopé­ra­tion décen­tra­li­sée, qui existe de longue date en France, doivent être confor­tés et démultipliés.

L’Union euro­péenne a depuis long­temps pris en compte l’apport des ter­ri­toires notam­ment avec son Comi­té euro­péen des Régions. La gou­ver­nance inter­na­tio­nale est désor­mais mul­ti­ni­veau, elle implique les socié­tés civiles, les cités (au sens poli­tique), les régions, les États et, bien sûr, l’échelon euro­péen. Les solu­tions passent par l’innovation et s’élaborent dans les territoires.

Les suc­cès de l’Avitem sont rede­vables au minis­tère de l’Europe et des Affaires étran­gères, à la Région Sud-Paca, la Métro­pole Nice Côté d’Azur, la Ville de Mar­seille, la Col­lec­ti­vi­té de Corse, à l’Agence natio­nale de la cohé­sion des ter­ri­toires. Je sou­ligne que l’adhésion toute récente à l’Avitem de la Col­lec­ti­vi­té de Corse est l’occasion pour l’agence d’ouvrir une pers­pec­tive insu­laire, cru­ciale pour la pré­ser­va­tion et le déve­lop­pe­ment durable de la Médi­ter­ra­née et pour l’innovation en Méditerranée.

Antoine Lou­bière

Pho­to : Phi­lippe Meu­nier © Avitem

 

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