Yves Le Breton : « Un rôle de “jardinier” pour la puissance publique »
Le directeur général de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) explicite la vocation de la nouvelle agence.
Les stratégies de résilience vont prendre une place croissante dans l’action publique
La création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, début 2020, peu avant la crise du Covid-19, est passée un peu inaperçue. Pouvez-vous nous rappeler les principes qui ont présidé à sa mise en place ? Quelle est la grande différence par rapport au Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) ?
Yves Le Breton/ La création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires correspond à une volonté du président de la République de changer en profondeur la méthodologie de travail de l’État au profit des territoires, par une approche plus ascendante, de terrain, et en tenant compte des spécificités de chaque territoire, en particulier des plus fragiles. L’ANCT vise également à créer de la simplicité au profit des collectivités en décloisonnant l’action des services de l’État et des opérateurs nationaux. Concrètement, l’ANCT déploiera trois modalités d’intervention : une offre d’accompagnement sur mesure des projets des territoires, des programmes d’intervention (dédiés au numérique, à la politique de la ville, aux territoires et aux ruralités) ainsi que des contractualisations spécifiques.
La grande différence par rapport au CGET vient d’abord de son statut. L’ANCT est un établissement public, et non plus une administration centrale. Dans le cadre des missions qui lui sont assignées par la loi, elle dispose d’une plus grande autonomie. Elle a aussi vocation à accompagner les collectivités de manière très opérationnelle. L’ANCT intègre également deux structures reconnues : l’Agence du numérique et l’Epareca1, qui lui apportent des compétences en matière d’aménagement numérique et de pilotage d’opérations immobilières complexes pour la revitalisation des territoires, notamment dans le domaine du commerce et de l’artisanat.
La feuille de route de l’ANCT adoptée le 17 juin 2020 distingue trois modes d’intervention, notamment « les pactes de cohésion territoriale » qui apparaissent comme une innovation. Pouvez-vous nous préciser la philosophie de ces pactes qui concernent « des territoires identifiés comme particulièrement vulnérables » ? S’agit-il d’une préfiguration d’un « contrat unique » qui concernerait toutes les collectivités ? Dans ce cadre, quelle serait la place des prochains contrats État-Région, qui étaient le socle de la contractualisation territoriale ?
Yves Le Breton/ Les pactes de développement territoriaux visent à accompagner les territoires les plus fragiles dans leur projet de développement. Ils consistent en une vision partagée entre l’État, les élus et les acteurs économiques et sociaux sur de grandes orientations de développement assorties d’un plan d’action comportant des mesures concrètes. Il en existe ainsi dans les Ardennes, en Sambre-Avesnois-Thiérache, dans la Nièvre et dans la Creuse. S’y ajoute un projet autour du renouveau du bassin minier initié sous le précédent gouvernement. Ces pactes visent à donner les moyens de rebondir à ces territoires fragiles, que cette fragilité soit économique, sociale ou démographique. L’ANCT accompagne les préfets de département ou de région dans la mise en œuvre de ces pactes, notamment en appuyant la prise en compte par les administrations centrales des spécificités de ces territoires, en accompagnant la mise en œuvre de certains projets emblématiques (méthanisation, tourisme fluvial, reconfiguration d’un ancien site industriel dans les Ardennes ; expérimentation du cannabis thérapeutique et soutien à la filière bovine dans la Creuse, ou encore accès au numérique et à l’enseignement à distance dans la Nièvre), mais encore en appuyant les candidatures des collectivités issues de ces territoires à des appels à projets nationaux comme la délocalisation de la DGFIP ou l’implantation de nouveaux centres pénitentiaires. Ces pactes, qui partent des projets de territoire élaborés par les élus et acteurs locaux, illustrent bien la nouvelle approche du Gouvernement qui consiste à apporter une réponse différenciée et adaptée aux besoins de chaque territoire, en l’accompagnant dans la conception et la mise en œuvre de ses propres projets de développement.
Ceux-ci sont articulés avec les volets cohésion territoriale des CPER, dont une nouvelle génération pour 2021–2027 est en cours de négociation avec les exécutifs régionaux.
Ces pactes ont également pour ambition de rendre plus cohérente l’action des pouvoirs publics en faveur de territoires sujets à des enjeux de transformation économique, industrielle ou démographique majeurs. Ils constituent à ce titre une forme de préfiguration des contrats de cohésion inscrits dans la loi portant création de l’ANCT. Ces contrats de cohésion se veulent une nouvelle approche de l’intervention de l’État dans les territoires qui traduit dans les faits cette volonté de partir des projets de territoires et de mettre en cohérence les politiques des différents ministères et des différents opérateurs de l’État. La nouvelle génération de contrats de ruralité, qui devrait prendre le relais au cours du premier semestre 2021 des actuels contrats de ruralité lancés en 2016, viendra également traduire dans les faits cette nouvelle approche plus intégratrice et plus différenciée.
L’ANCT y travaille actuellement avec les ministères concernés (Transition écologique, Santé, Culture, Éducation…) et de premières instructions devraient être données aux préfets dans les prochaines semaines.
La période « post-Covid 19 » va mettre à l’épreuve beaucoup de territoires. La feuille de route évoque des « pactes de résilience territoriale ».
Quel pourrait être leur contenu ? Sur quels outils pourront-ils s’appuyer ?
Yves Le Breton/ La réflexion n’en est qu’à ses débuts sur la conception de contrats de cohésion territoriale qui comprennent une forte dimension de résilience. Nous l’avons vu avec la crise Covid, les collectivités territoriales sont soumises à des crises et à des tests de plus en plus intenses, que ce soit dans le domaine sanitaire, mais aussi climatique ou encore numérique. L’État ne peut plus être le seul acteur à déployer une stratégie de résilience. Une mission est en cours pour faire des propositions sur ce sujet. De notre côté, nous réfléchissons également à construire des outils contractuels, entre l’État, les collectivités territoriales et d’autres acteurs qui prennent en compte cette dimension. Concrètement cela signifie que ces contrats de cohésion devront être revisités pour prendre en compte les enjeux liés aux grandes transitions : écologique, démographique, numérique… Une partie des investissements publics de ces contrats pourrait être orientée sur des infrastructures et des programmes qui préservent la soutenabilité de nos territoires : rénovation thermique, mobilités douces, énergie décarbonée, transition agricole, inclusion numérique…
En conclusion, pensez-vous que « la résilience territoriale » va se substituer à « la cohésion des territoires » comme doctrine d’intervention de l’État ?
Yves Le Breton/ Il ne s’agit pas de remplacer un concept par un autre. La cohésion des territoires reste la pierre angulaire de notre action, avec un rôle de « jardinier » pour la puissance publique : fertiliser les initiatives, encourager les coopérations interterritoriales, doter les collectivités d’outils de diagnostic et d’une offre d’ingénierie à la hauteur. Cependant, à l’heure des grandes transitions et des crises, les stratégies de résilience vont prendre une part croissante dans l’action publique et notre rôle est d’outiller au mieux les collectivités pour faire face à ces nouveaux défis.
Antoine Loubière
Photo : Yves Le Breton ©ANCT