Il faut se préparer à habiter un monde plus chaud. C’est l’objet de ce dossier, à l’échelle des villes et des territoires.
Analyses et points de vue contrastés, voire opposés, sur les voies à suivre pour permettre à leurs habitants de vivre sans suffoquer, quitte à modifier les formes urbaines, et à la nature d’y jouer un rôle protecteur, afin que la ville reste « aimable », pour reprendre les mots de l’aménageur Christophe Pérez (Serm). Le premier problème que rencontreront les villes est celui de la dépendance à l’égard de ressources essentielles situées à l’extérieur, qui, elles, sont à risque avec le changement climatique, selon Jean-Marc Jancovici, expert en questions énergétiques.
Ce dossier s’organise autour de quelques mots-clés : celui d’adaptation, dont Margot Pellegrino rappelle qu’elle a un double sens (adapter/s’adapter), qu’elle est itérative, sans fin et inscrite dans la durée. Celui de résilience bien sûr, devenu d’usage banal. S’intéressant aux extrêmes hydrologiques, Bruno Barroca rappelle que la résilience a deux formes : la transition socio-écologique, et la capacité de rebond face à des extrêmes climatiques imprévisibles. Partant du principe que les quartiers urbains à haute densité amplifient les effets du changement climatique, l’universitaire new-yorkais Jeffrey Raven, spécialiste des canicules urbaines, défend l’idée contre-intuitive que ces mêmes quartiers puissent absorber une partie des émissions des gaz à effet de serre (GES) grâce à des îlots de fraîcheur. Y a‑t-il meilleure définition concrète de la résilience ?
Pourtant, ce terme de résilience, l’architecte Philippe Madec, ardent défenseur de la frugalité, le récuse. En mettant en avant la résilience, estime-t-il, on ne soigne que les symptômes sans s’attaquer aux raisons de la crise. Avec d’autres concepts qu’il défend comme ceux d’établissement humain et de « biorégion », Philippe Madec propose de dépasser les oppositions stériles entre territoires pour penser un avenir apaisé pour tous.
On pourrait ajouter à cette liste lexicale les notions avancées par Michel Lussault dans le grand entretien qui prolonge ce dossier : la « préparation », entendue comme un concept philosophique, et la vulnérabilité, consubstantielle à l’être humain et contre laquelle « il n’y a pas lieu de se protéger ».
Comment, en conséquence, préparer les villes aux lendemains qui chauffent ? D’abord, par la connaissance fine des phénomènes : ce à quoi s’attellent des agences d’urbanisme pour repérer, carthographier et analyser des îlots de chaleur, à l’échelle de plusieurs métropoles. Par des expérimentations intégrant la gestion des inondations dans les formes et les fonctionnements urbains plutôt que par la multiplication des digues, explique précisément Bruno Barroca. En modernisant de très anciens principes d’architecture climatique, propose l’architecte Philippe Rham, dessins à l’appui. En renaturant les villes, défend l’écologue Marc Barra. En imaginant comment faire du stress hydrique le levier d’un aménagement différent des territoires, suggèrent les participants d’une table ronde organisée par la Scet.
Le réchauffement climatique a bien d’autres impacts sur l’organisation urbaine. Le plus complexe et le plus délicat, compte tenu de ses dimensions géopolitiques, est la croissance des migrations climatiques, à l’intérieur des pays les plus touchés comme à l’extérieur. On sous-estime en Europe l’importance du phénomène. Alice Baillat, Lorenzo Guadagno et Pablo Escribano en rappellent les enjeux, les formes et les réponses qui peuvent y être apportées. La mondialisation et le climat font circuler les êtres humains. Les villes doivent aussi se préparer à les accueillir.
Jean-Michel Mestres, rédacteur en chef adjoint
Photo : Vue de la 42e rue à New York, États-Unis © Alexander Spatari/GettyImages